L'Opération Souris
jaune a été imaginée par l'Association des Écoles
Françaises d'Asie du Sud-Est. Son but était de faire écrire,
par les élèves francophones de ces écoles, des nouvelles
policières mettant en scène des personnages récurrents.
C'est ainsi que plusieurs auteurs jeunesse se sont rendus au Japon, au Viêt-nam,
au Cambodge, à Hong Kong, en Chine, à Taiwan, en Corée, en
Indonésie, aux Philippines, en Malaisie, à Singapour et en Thaïlande.
Alain Korkos,
par exemple. Plus que barbare, je suis partie en Asie sans rien
connaître de ces pays, que des odeurs d'enfance : nuoc-man, opium, écorce
d'orange lentement consumée
mais l'enfance est une autre histoire.
Celle d'aujourd'hui commence sur Internet avec " Pages
d'écriture ", un site sur l'écriture créative en
milieu scolaire. Et c'est ainsi que quelques mois et quelques e.mails plus
tard, j'attends dans l'aéroport de Roissy l'heure d'embarquer, toujours
longue à venir. Pour en savoir plus sur le projet " Souris
jaune " qui détermine mon voyage, et faire la connaissance de
Lucas, notre futur héros, vous pouvez aller sur son site. En
vol Ou bien montez directement avec moi dans l'avion ! Avant
même de décoller, le ton est donné par la petite serviette
chaude distribuée aux passagers par de brunes hôtesses au teint mat.
Le soleil brille sur la piste. L'avion s'est immobilisé au bout d'une
longue course et puis soudain l'énergie gonfle les moteurs, on roule, on
décolle en quelques secondes. Des nuages de coton effilochés
posent leur ombre sur les champs et les maisons. L'Ile de France. Un peu plus
tard, on survole les sommets enneigés des Alpes, vagues écumeuses
aux crêtes aiguës qui se croisent et se succèdent. Les hôtesses
de l'air en tablier jaune serré à la taille avec un petit empiècement
jaune sur la poitrine, les jolies hôtesses aux cheveux noirs et lisses tirés
en arrière en chignon, aux petites bouches rouge cerise qui nous ont servi
un déjeuner, nous demandent de fermer les hublots par lesquels entrent
un beau et chaud rayon de soleil. Je résiste mais mon voisin a fermé
les yeux et il agite la main comme si la pointe de ce joli rayon qui tombe sur
sa veste le dérangeait, le chatouillait, le démangeait
Il
finit par se pencher vers moi et me prier, courtoisement dans un anglais inévitable,
de baisser le hublot, et il va même jusqu'à allumer pour moi la lumière
individuelle qui me permettra de continuer à lire sans qu'un rayon de soleil
se pose sur le bord de sa veste
Je passe du Burkina à l'Argentine,
du Guatemala à la Slovaquie, de la Norvège au Yémen grâce
au dernier numéro de la revue Brèves. Mon voisin ne dort plus, il
regarde la télévision, je soulève légèrement
le volet du hublot et là, j'ai un choc ! Ce ne sont plus les crêtes
neigeuses des Alpes que je vois, mais un désert glacé, une blancheur
profonde, montueuse : l'Himalaya ! Il est à peine 15h30 à ma
montre, mais le soleil bascule déjà en arrière. Un couchant
accéléré. Nous entrons dans un pré-crépuscule
gris, les neiges se noient à peine apparues dans une couche nuageuse frangée
de jaune pâle. Le temps que j'écrive ces lignes et que je lise une
courte biographie concernant les auteurs dont je viens d'achever les nouvelles,
celle de Luis de Lion, par exemple, né en 40 au Guatemala, où l'on
apprend que " son roman Le monde commence à Xibalba publié
un an après son enlèvement et son exécution a fait de lui
un classique
" et nous sommes dans une nuit profonde. La neige
tombe dans l'écran de télévision sur un couple qui échange
un regard pathétique. Ma montre marque à peine 4h de l'après-midi.
Je pense à l'écrivain guatémaltèque, à son
destin tragique
Nous traversons la nuit à rebours, il n'est pas
11h pm quand apparaît le jour renaissant, ligne intense du rouge à
l'indigo en passant par un orange de feu.
Arrivée à Taïpei
A quoi
ça ressemble, un directeur d'école française à Taipei
? A quoi ça ressemble une écrivaine française ? C'est
ce que l'un et l'autre nous nous demandons ce matin-là. Et qui se résout
en un regard. : c'est lui ! C'est elle !! J'ai avancé ma montre de
7h. La nuit n'a pas duré assez pour que je m'endorme et déjà
le jour se lève sous la pluie. Un
taxi nous emporte vers la ville. La même entreprise doit réaliser
les panneaux routiers dans le monde entier. Mais les premiers -mes premiers- caractères
chinois y font leur apparition. L'autoroute, la ville, les immeubles d'où
dépassent les climatiseurs
le temps de prendre une douche chez Pierre.
Oui, c'est Pierre, tout de suite, et Marie-Florence. Et puis ce sera Marie-Josée,
Martine, Philippe, Lionel
le temps de prendre une douche, donc, et nous
montons à l'école. L'école française partage avec
les Anglais et les Allemands un campus européen perché dans la montagne
au-dessus de Tienmu, l'un des quartiers de la ville. Marie-Josée, c'est
la secrétaire, m'offre un café, son sourire. Martine m'offre sa
maison. Elle est blonde comme une princesse de conte de fées, avec une
queue de cheval, comme Aggie dans les bandes dessinées de mon enfance.
Elle est arrivée à Taipei il y a trois mois, elle a trois enfants
à l'école et elle s'est proposée pour recevoir chez elle
l'écrivain de passage. Le soir, elle lui fera même un feu dans la
cheminée. Philippe et Lionel, ce sont les instituteurs de CE et CM avec
lesquels je vais travailler. Il faudrait aussi nommer tous les enfants lancés
dans l'aventure policière par leurs maîtres. Après une
première rencontre collective, nous nous partageons les deux classes en
trois groupes : lecture, jeu, écriture
Toutes les activités
sont tournées vers le livre que nous allons écrire ensemble. Enquêtes,
indices, suspect
Cavalcades d'une salle à l'autre, rappel des faits.
Qu'est-ce qu'écrire ? D'où viennent les idées ? Pas de théorie
On ne travaille pas aujourd'hui ? demandent les enfants, ravis Non, on met
en pratique tout ce qu'on a appris, on écoute, on invente, on se concentre,
on utilise sa mémoire et son imagination, on cherche ses mots, on en trouve
d'autres. On n'y arrive pas, on n'y comprend plus rien, on est perdu, on puis
soudain tout s'éclaire, on écrit, on est heureux. L'atelier
1 J'ai reçu le chapitre
1 par mail juste avant de partir. J'ai adoré le ton, le rythme, la
vivacité avec lequel il a été rédigé. Comment
s'y sont pris les enseignants pour obtenir ce résultat ? D'abord un
travail oral. Recueil des idées au tableau. Construction du chapitre, puis
division de chaque classe, 13 élèves dans l'une, 14 dans l'autre,
en groupes de trois, chargé chacun d'écrire un passage. Chaque texte
a ensuite été relu et enrichi par un autre groupe (l'écriture
des CE, reprise par les CM). Les maîtres ont juste corrigé l'orthographe
et la ponctuation, avec une fidélité rigoureuse au texte des enfants.
Quand j'arrive, le chapitre 2 est écrit. Les enfants en font la lecture,
se partageant les rôles pour les dialogues, y compris l'aboiement du chien,
et la voix du narrateur. Visiblement, le labeur n'a pas tué le plaisir.
Mais le chapitre 2 ne " tient " pas tout à fait. Les premiers
problèmes de cohérence apparaissent. Comment surmonter la difficulté
d'un travail collectif, et celle inverse de la transmission des informations d'un
groupe à l'autre
Les enseignants ont prévu que le chapitre
3 serait écrit avec l'écrivain. Mais l'écrivain renâcle
à donner à un groupe autorité sur ce qui a été
écrit par un autre. La " correction " doit se faire avec l'auteur
auquel on peut faire des propositions, des critiques mais qui seul tranche en
dernier recours. Nous tombons d'accord sur le principe mais comment l'appliquer
? Au terme de la première journée, nous avons pris contact les
uns avec les autres, enfants, maîtres, écrivain, et nous passons
au moins deux ou trois heures après les classes à réfléchir
ensemble, sur l'organisation des jours à venir, compte tenu des salles
disponibles, des cours de langue, et surtout nous discutons des questions de fond.
Comment permettre à chacun d'écrire réellement, librement,
à l'intérieur d'un projet collectif qui doit demeurer d'un bout
à l'autre celui des enfants ? Les deux classes ont été
confondues en une et divisées en trois groupes de neuf, eux-mêmes
divisés en trois groupes de trois. Chaque groupe de neuf verra l'écrivain
chaque jour, tandis que les enseignants feront avec les deux autres groupes, de
la lecture d'énigmes pour les uns et le jeu du cluedo pour les autres.
On ne quittera donc pas l'univers policier de la semaine. Comme cette tension
s'avère parfois trop forte, les mathématiques apparaîtront
comme une détente nécessaire
Tant bien que mal, nous tournons,
nous écrivons, et je tape après les cours ce qui a été
fait dans la journée, notant en italique les questions que soulève
le texte. Un des grands problèmes qui revient systématiquement,
et que je retrouverai semblable à Hong-Kong, est la tendance " naturelle
" des enfants à multiplier les idées concurrentes sans parvenir
à en choisir une, à la défendre, à la poursuivre,
à en tirer les conséquences
Très vite, plus personne
ne sait si le chien a mordu, s'est sauvé ou a aboyé. Les propositions
se chevauchent, les voix montent. On ne sait pas s'écouter
Nous
tentons donc de séparer les " choix d'auteurs " de ceux qu'impose
la logique interne du récit déjà posé. Pas de vote
démocratique pour décider si Lucas porte un tee-shirt bleu ou vert,
l'auteur choisira et ce choix ne pourra être modifié que si Lucas
change de vêtement
Il y a aussi quelque chose de mathématique
à un roman, surtout un roman policier ! Car ce qui se dégage
au terme de la semaine, c'est qu'il est utile, voire indispensable, de savoir
dès le chapitre 2, la fin que le lecteur ne sait pas encore
On peut
bien sûr, faire rebondir le récit au fur et à mesure qu'il
avance, transformer en fausse piste ce qui avait été écrit
" innocemment " comme la solution
Mais il y faut une souplesse
et une logique que les enfants n'ont pas encore acquis. Et il faudrait que les
" auteurs " écrivent à tour de rôle et à
la suite les uns des autres. Or tout le monde doit pouvoir travailler en même
temps. Certains passages peuvent être travaillés par plusieurs
groupes et s'enrichir par accumulation. Des mises au point doivent sans cesse
être faites et refaites
Au terme de la semaine, le chapitre 3
est écrit, le 4 et le 5 esquissés, tout devra être repris,
cohérence ! cohérence ! développé par ci, coupé
par là (bavardage, redites)
Nous avons passé des heures passionnantes
à discuter sur la place du maître, de l'intervenant dans la liberté
de création des enfants. Suggérer c'est souvent imposer. S'effacer,
c'est ne pas donner ce que l'on possède
De la théorie à
la pratique, l'attention, l'écoute, la vigilance, le respect ne sont pas
des mots mais des instruments extrêmement sensibles. Le
tourisme Le premier soir, je reste près de la cheminée
où Martine a fait un grand feu pour nous faire oublier la pluie et réchauffer
ma nuit blanche. Elle a rapporté deux barquettes toutes préparées
que nous dégustons du bout de nos baguettes tandis que les enfants se régalent
de raviolis à la tomate. Et puis tout le monde au lit !
Mais dès le lendemain, Pierre m'emmène découvrir les
rues de Taipei : commençons par un massage de pieds ! Ce doit être
délicieux ! Un peu douloureux aussi, me prévient-il. Un peu
! Ouhlala ! Mais c'est une brute que la charmante et rieuse jeune fille qui me
broie les pieds entre ses jolies mains ! Et son complice masculin qui s'occupe
des pieds de Pierre n'a pas l'air plus tendre !! Nous protestons, soupirons mais
nous livrons à nos bourreaux qui écrasent, malaxent, point par point
du talon aux orteils nos pieds fragiles. La séance dure bien une demi-heure
et se termine dans la chaude vapeur des serviettes. Nous voilà prêts
à parcourir l'allée des serpents où agonisent tête
en bas des tortues d'eau tandis que des poussins attendent d'être livrés
aux serpents qui feront plus tard le régal des dîneurs.
Le marché de nuit est moins effrayant mais tout aussi fascinant. Amoncellement.
De tout. A droite, à gauche et au milieu. Vêtements, chaussures
Je
ne distingue plus rien dans cette profusion
une pierre polie et gravée
une théière au bec de dragon, un lion de bois sculpté, au
bout d'un ruban rouge, des babioles de jade
La vapeur s'échappe des
chaudrons où trempent des brochettes de toutes sortes, où mijotent
de mystérieux ragoûts qu'on voudrait goûter tous
On se
contentera après un bol de soupe sous lequel brûle une lampe à
pétrole et où nagent champignons, légumes divers et fruits
de mer de croquer les fraises tendres et fraîches enrobées d'une
glaçage de sucre transparent qui craque et croque sous les dents.
Un autre soir, le professeur de taekwando n'est pas venu et nous tournons un peu
en voiture et à pied avec Martine et les enfants, devant les grands immeubles
prestigieux dont j'oublie aussitôt les noms, dans les petites rues où
pendent les enseignes, on fait même un saut au marché de nuit avant
d'atterrir chez Philippe qui nous attend pour l'apéritif. Il nous emmène
dans un restaurant merveilleux où notre table est réservée
derrière une porte de bois coulissante. A l'entrée du restaurant,
un arbre imite les peintures chinoises classiques. Nous finissons la soirée
dans un bar qui vient d'ouvrir. On parle encore de notre roman, des enfants, de
la vie à Taipei, de photographie
Pour ma dernière soirée,
Martine a préparé une tartiflette avec du reblochon tout droit venu
de son dernier séjour en France. Délice exotique au pays du riz
et des baguettes. Nous sommes une quinzaine autour du feu, autour de la table.
Il pleut encore. Et alors ? C'est la fête ! Le samedi matin est un peu
chiffonné de la nuit. Un dernier petit déjeuner familial. Et Martine
nous emmène, mon sac et moi, chez Pierre. Il pleut toujours, et elle se
transforme en providence, ma jolie taïwanaise blonde, pour un Anglais en
panne avec ses deux enfants dans les tournants de la route. J'aurais juste
le temps avant de quitter Taipei de parcourir au pas de course le Musée
National du Palais sans même me promener dans les jardins Hou-le et Chih-San
qui l'entourent. Il mérite mieux, mais au moins ai-je une idée
des trésors qu'il renferme. Dont plus des trois-quarts restent enfermés
à l'abri dans un bunker creusé juste derrière dans le flanc
même de la montagne, protégés de toute agression éventuelle.
Ainsi les collections exposées de poteries, bronzes, sculptures, peintures,
calligraphies, coffrets, jades sont-elles régulièrement renouvelées.
Une courte promenade au marché des antiquités d'où je ramène,
outre quelques boucles d'oreilles en vieil argent noirci et en cloisonné
un cachet dont j'ignore le sens mais qu'un lion -yin ou yang ? - domine gueule
ouverte. Des marionnettes anciennes attirent l'il de Pierre. Pas le temps
d'attendre le vendeur. Il y retournera le lendemain mais elles seront déjà
parties. Les
encens du Lungshan Temple m'embaument encore l'esprit quand le taxi m'emporte
vers l'aéroport... Hong
Kong Un bar tournant
Je ne savais même pas que ça
existait ! Lentement, la plate-forme effectue sa révolution. En une
heure et quart environ, nous faisons le tour des buildings illuminés, des
quartiers résidentiels, des dernières constructions perdues dans
la montagne et revenons à cette tour pour laquelle mon hôtesse éprouve
une tendresse particulière et qui change de couleur, passant du rouge au
bleu et puis au jaune et au vert, inlassablement
Il
faisait nuit déjà quand je suis sortie de la navette de l'aéroport
de Hong-Kong. Nous nous sommes reconnues d'un coup d'il, elle, Annie, directrice
de l'école primaire de Hong-Kong, 850 élèves, une véritable
usine, de luxe ! (http://www.lfis.edu.hk)
où chaque enfant est une pièce unique et précieuse. Moi,
dont elle connaît le visage grâce au site qu'elle a visité.
Le métro a filé sur et sous l'eau, sans même que je m'en aperçoive,
un taxi nous a emmenées à l'hôtel de l'Empereur, à
Happy Valley, le temps de poser mon sac. Chambre 1811, 18ème étage.
Ce n'était que le début de mes surprises. De la fenêtre, on
voyait en alignement discontinu briller mille autres fenêtres. Mains dans
les poches, nous sommes reparties pour une première visite nocturne de
HK. En tram, vieux tramway brinqueballant qui pour 2 dollars (environ 2frcs, 30
centimes d'euros) vous emmène d'un bout à l'autre de la ville. Nous
sommes arrivéees à Times Square. Ecran géant. Foire commerciale.
Lanternes rouges. Décorations lumineuses. Foule. Annie m'a fait remarquer
la beauté des immenses gratte-ciel aux angles purs, aux avancées
audacieuses jouant reflets et transparences, ruptures et continuités avec
un art auquel aucun moyen n'a été refusé. Les plus grands
architectes du monde ont déployé là leur talent. Et pour
porter mon admiration encore plus haut, elle a hélé un taxi qui
nous a déposées ici, au 63ème étage de l'Hopewell
Center où sans bouger de notre table et tout en savourant nos Guinness,
nous faisons le tour du panorama
De l'immeuble qui change de couleur à
celui qui scintille comme un papier cadeau, du golfe marin aux quartiers résidentiels
où se pressent les hautes et fines tours comme des arbres dans une forêt,
en passant par la montagne où les lumières se raréfient
La ville est une forêt où
poussent Des troncs de béton et de lumière Serrés
sur le flanc de la montagne
Dès
le lendemain, je fais la connaissance de Stanley, petite crique balnéaire
sur l'autre versant de l'île. Nous passons par Repulse bay où, pour
respecter les règles du Feng shui, considéré en Chine comme
une science, la science de l'environnement, les architectes ont aménagé
dans la façade d'un immeuble de résidence qui domine la baie, une
large ouverture nommée " trou du dragon ".
Dans la façade de fenêtres opaques
Le dragon a ouvert une série de vues par où passe le vent
Au
terme d'une heure de route montagneuse et côtière, nous arrivons
sur un petit port avec son marché touristique, ses restaurants et sa promenade,
si différent des buildings du centre
Et pourtant c'est encore Hong-Kong. L'atelier
2 Lundi matin commencent les choses sérieuses ! Les
trois classes de CM, d'une vingtaine d'élèves chacune, ont travaillé
séparément. Lucas, notre héros, connaît donc trois
destins hong-kongais différents. Le problème est de ne pas oublier
qu'il s'agit du même Lucas. Et qu'il a toujours ses taches de rousseur,
même au-delà du premier chapitre, qu'il est curieux et débrouillard,
qu'il aime internet et le taekwando, que ses parents etc
. L'écrire
au tableau ne suffit pas, il faut que chaque auteur ait en main son " cahier
des charges " et s'y réfère !! Cela n'a l'air de rien mais
une semaine ne suffira pas à le faire entrer dans les habitudes. Là
aussi, je passerai chaque jour au moins une fois dans chaque classe pour des séances
d'heure et demie à deux heures. Il y aura des suppléments de ¾
d'heure, à l'occasion d'une bibliothèque par exemple
Difficile
ici, de diviser la classe, l'avantage est que le maître peut participer
à l'atelier, l'inconvénient est qu'il est quasi impossible de mener
un véritable atelier avec une classe entière, et que les alternances
entre le travail collectif et le travail individuel ou en petits groupes se traduissent
chaque fois par un chahut de chaises, de protestations, et désordres divers.
Mais avant tout il me paraît nécessaire de savoir où l'on
va car mes jeunes auteurs attendent, comme s'ils la lisaient, qu'apparaisse la
suite de l'histoire, et comme à Taipei, ils ont mille idées concurrentes
: " on pourrait dire
peut-être que Lucas
ou bien
ou
bien
", mais le plus grand mal à en mettre deux bout à
bout ! Lucas a trouvé une bouteille au fond de l'eau
Qu'y a-t-il
dans cette bouteille ? D'où vient-elle ? Plusieurs choix sont possibles,
mais le choix fait, il ne sera pas sans conséquences
Ah, les conséquences
et les causes
Dans chaque classe donc, nous aurons au terme de la semaine
un premier chapitre sur lequel je demande aux auteurs de revenir régulièrement
pour développer ce qui a été posé : personnages, situation.
Un schéma plus ou moins détaillé de la suite, et une idée
claire (enfin autant que possible) des circonstances du délit.( qui ? pourquoi
? comment ? ). (Premier Chapitre de : Classe
de Marc, Classe de Regis,
Classe de Philippe)
La grande difficulté est de travailler simultanément avec tous
les élèves, donc sur l'ensemble de l'histoire dont un morceau est
confié à chacun, donc de concevoir d'abord l'histoire avant de l'écrire
(on pourrait imaginer que chaque élève ou groupe d'élèves
écrive à tour de rôle, reprenant le récit là
où l'ont laissé les précédents mais comment l'organiser
dans le cadre d'une classe ?). Dans chaque classe, nous avons donc divisé
l'histoire en autant de fragments que de groupes d'enfants, et nous comptons procéder
par expansion. Une première version sert de base à la rédaction
d'une seconde version plus longue, plus nourrie, une troisième, quatrième
si le temps le permet. A chaque étape d'écriture doit correspondre
un temps de lecture " critique " c'est à dire ouvrant à
des commentaires, de la part des autres élèves, de l'enseignant
et de l'écrivain, qui poussent l'auteur (les auteurs car le plus souvent
les enfants écrivent par groupe de trois ou quatre) à développer
leur texte, en fonction aussi des éléments nouveaux apportés
par l'écriture des autres parties
Les transitions d'un passage à
l'autre seront attentivement examinées. Dernier rappel : souvenez-vous
que les personnages doivent avoir un corps, c'est à dire un nez, des oreilles,
une langue... bref, cinq sens pour appréhender la "réalité"
dans laquelle auteurs, vous allez plonger le lecteur, un corps et une tête
pour penser, réagir à un monde extérieur que le lecteur découvre
justement par la réaction des personnages... Il ne s'agit pas de multiplier
des actions "abstraites" sans lieu ni temps, mais de donner à
chaque action toute son épaisseur ! Quand commence un chapitre on doit
savoir où on est, et quand ! L'écrivain poursuivra ses commentaires
par mail
Il y a du pain sur la planche ! Mais ce soir c'est les vacances
! Bientôt la nouvelle année chinoise, l'année du Cheval. On
se quitte avec des grands au revoir. On retrouvera Lucas à la rentrée. Tourisme
Peu de tourisme durant la semaine : les journées commencent
tôt et elles sont bien chargées. Quelques dîners cependant,
mémorables : le restaurant tournant de sushi (décidément
on aime ce qui tourne bien à Honk-Kong !) On fait la queue pour y entrer,
au sous-sol d'un centre commercial, puis on s'installe autour du grand bar où
défilent les assiettes de couleur différentes qui permettront au
serveur de vous faire l'addition à la fin : trois vertes, deux bleues,
deux à fleurs
saumon, thon, ufs de poisson, riz bien sûr,
crevettes, champignons, oeufs
C'était bon ! Le Pekin Restaurant
est aussi dans un centre commercial, celui de Mitsokushi, en face de Sogho, à
Causeway Bay
je suis devenue incollable sur les arrêts de tram !
Au Pekin Restaurant, donc, on se retrouve en fin de semaine avec quelques enseignants,
les " miens " bien sûr, ceux avec lesquels je travaille, et ceux
qui le voulaient, le pouvaient
Il y a Jocelyne, la bibliothécaire
qui a suivi et activement soutenu l'atelier en tapant, relisant avec nous les
écrits en cours, et qui poussera la gentillesse jusqu'à me laisser
les clés de son appartement pour les quelques jours qui me restent à
passer à HK. Somptueux dîner de canard laqué et autres chinoiseries
délectables. Mais ne méprisons pas les brochettes de calamars,
les boulettes de poissons et les pinces de crabe reconstituées qui se vendent
à tous les coins de rue et dont je me régale aussi
Un
seul regret : la semaine est passée trop vite, ce dîner a été
la seule occasion de se rencontrer de façon un peu conviviale
le
carnaval, les vacances, le rythme de cette énorme école n'ont pas
permis de faire autrement
pour cette fois ! Après le dernière
heure de classe, nous avons fait un tour, la directrice, la secrétaire
et moi, à Victoria Park où le marché aux fleurs de la nouvelle
année venait d'ouvrir. Branches de pêchers, de forsythias, orchidées,
dahlias, chrysanthèmes, orangers, mandariniers, pamplemoussiers en pots,
lys, amaryllis, tulipes, iris, primevères même, sans parler de toutes
ces fleurs moussues, pomponnées, élancées, étranges,
familières dont j'ignore le nom. Et ces bambous tordus, ces branches de
" fruits de la chance " sorte de citrons ou de coings d'un beau jaune
orangé
Ce sera encore plus beau le lendemain au marché
aux fleurs de Prince Edouard. Une foule compacte se presse brandissant ses fleurs
comme des drapeaux. Une manifestation de fleurs ! Nous sortons, Annie et moi,
de ce bain de foule et de fleurs pour monter au marché aux oiseaux. Les
serins, perruches, perroquets, mainates et autres espèces pépiantes,
criantes, gazouillantes rivalisent de couleurs et de charme dans leur cages d'osiers.
Puis ce sont les poissons, du plus minuscule au plus gros, plats ou ronds comme
des baudruches, fluos, turquoises, roses, jaunes, rayés, zébrés,
tâchés, et jusqu'aux hippocampes d'or, sirènes minuscules
à tête de cheval. Nous sommes passées hier soir, après
le Victoria Park au marché de nuit de Temple Street où l'on trouve
absolument tout ce que l'on peut souhaiter, du coupe-ongles à la robe de
cérémonie, en passant par les bijoux, bien sûr, les sacs,
les stylos, les montres - Oh les montres !!- les godemichés vendus par
de très dignes ancêtres, les chaussures, les vêtements d'enfants,
les vestes de soie, les statues de jade, les bouteilles peintes, j'en oublie autant
que j'en nomme ! et un délicieux restau de fruits de mer (pollués
?) clams merveilleusement bien assaisonnées dégustées dans
le chahut du marché ! Ce soir, autre style : Annie m'emmène
au sommet de l'hôtel Péninsule, où les jeunes mariés
de luxe viennent passer leur nuit de noces, conduits par une rolls de location.
Dans l'ascenseur on se croirait à l'intérieur d'un arbre, la lumière
baisse quand on arrive au niveau du bar qui nous offre son atmosphère feutrée
et surtout une vue imprenable sur le golfe de Honk-Kong, A gauche, c'est Tin Hau,
la déesse de la mer, juste au bout de Victoria Park. L'enseigne de Sharp
domine Causeway bay. Au niveau de Wan chaï un cheval lumineux reste cabré
devant la mer et l'année à venir, Philipps, Siemens, Canon brillent
en lettres majuscules dans le ciel sans étoiles, au niveau d'Admiralty
galope inlassablement un autre cheval lumineux. Entre les hautes bandes jaunes
qui couronnent ces trois immeubles, je sais pour y être allée, la
grande volière au sommet de Hong Kong Park, où dorment les perroquets
jaunes et rouges et tous les autres oiseaux dont j'ai guetté l'apparition
entre deux branches
Et cet immeuble merveilleux où grimpe un panda
qu'on ne peut cesser de voir dès lors que l'il a été
informé.
Sur la tour de verre Les pattes du panda Ne sont pas invisibles
L'immeuble
que nous appelons : " papier cadeau " miroite non loin de celui qui
change de couleurs, au-delà du Star ferry de Central. Les deux tours du
ferry de Macao s'avancent dans la baie que sillonnent les petits ferrys. Des lasers
balayent le ciel vide et opaque. Nous restons longtemps devant ce déploiement
mouvant, ce voile de Maya que la fée électricité agite devant
nos yeux
Chinguetti, ma belle oasis ensablée, sombre et silencieuse
sous ton ciel constellé, que tu es proche et loin... CheungChau Les
vagues se brisent contre la coque du bateau, on aperçoit des côtes
nues et escarpées d'ilôts déserts, de gros cargos et de petits
bateaux côtiers, les jonques ont perdu leurs voiles membrées et filent
à la vitesse de leurs chevaux-moteurs. Au bout d'une heure - cinquante-cinq
minutes exactement - on accoste. Les bateaux se pressent dans le port que bordent
la jetée, sa promenade, ses terrasses, ses boutiques
. Pas de voiture
dans cette petite île où il n'y a que la plage, le port, quelques
rues et places plus charmantes les unes que les autres. Les maisons n'ont qu'un
ou deux étages, terrasses et balcons fleuris poussent comme des plantes
de hasard. Des lanternes pendent ici et là. L'encens brûle dans de
petits temples au coin des rues, devant une boutique. Les fruits et les légumes
paraissent plus beaux et brillants qu'ailleurs. Fruits du dragon roses aux cornes
vertes, fruits-étoiles aux angles jaunes. Pamplemousses gros comme des
ballons, letchies velus, pommes aux joues rouges.
Une famille nous rejoint à la table où l'on mange des vapeurs parfumées
dans le bruit du ressac devant les barques qui dansent. On
rêve un peu les pieds dans le sable, on se promène encore, découvrant
des places nouvelles, et puis on reprend le ferry pour Central ! Macao Pas
de visite complète de l'île sino-portuguèse, quelques instantanés
seulement
Tout est rouge et blanc dans cette rue, une traverse dans
l'avenue Almeido Ribeiro. Les maisons n'ont qu'un étage et le ciel paraît
plus grand et plus clair que dans le reste de la ville. Les rues - rua, avenida,
traverso, estrada - ont toutes des noms portugais inscrits en bleu sur carreau
blanc, accompagnés des caractères chinois qui les signifient.
Sur la place aux pavés noirs et blancs, en costumes rouges et jaunes pour
les uns, verts et roses pour les autres, des jeunes gens -filles et garçons
- se préparent pour une danse du dragon. La bête gît sur le
pavé, sa grosse tête de papier grimaçante attendant d'être
brandie.
Le gardien du cimetière San Miguel où dorment de leur dernier sommeil
des Oliveira, Ferreira et autres Terezinha écoute à la radio
une mélodie chinoise. La voix aiguë et affectée de la chanteuse
berce les morts. Beaucoup de touristes devant la façade plate des ruines
de Sao Paulo. Des cars entiers venus de Chine populaire, avec enfants et appareils
photos. Ce qui reste d'un monde avec son imagerie de saints et de colombe.
Au bout de la rua San Antonio et de ses antiquaires, on arrive au Jardim et Gruta
Luis de Camoès et je vous propose de nous y reposer un moment. Sur
un banc de vieux musiciens jouent d'instruments innommables, trois archets, une
corde pincée et un percussionniste accompagnent une vieille chanteuse aux
cheveux teints. Les spectateurs sont aussi vieux que les musiciens. Il manque
un Wim Wenders pour leur rendre l'éclat qu'ils méritent, mais qu'importe,
écoutons-les. Deux chanteuses plus jeunes ont remplacé l'ancienne
qui les écoute en fumant une cigarette, l'une a la voix plus grave, l'autre
monte dans des aigus nasillards. Puis, c'est un couple. De nouveaux musiciens
arrivent, un, un second, s'installent à côté des premiers,
on tire une chaise et puis voilà
Des pétards annoncent
avec un peu d'avance le Nouvel An à venir. Dans une arbre voisin, les
oiseaux continuent à chanter. Le vent soulève les partitions
tenues par une pince à linge. Des cages sont accrochées aux
arbres. Leurs propriétaires ont emmené leur oiseau prendre l'air
Ils repartent en couvrant la cage d'un tissu blanc, ou le laissent sans rien,
c'est selon
Il y aussi des temples, des casinos et tout ce que je
n'ai pas vu
Macao... Le
grand Bouddha Combien mesure-t-il ? 20, 50 mètres de haut
? Il dresse sa masse splendide de bronze tout en haut d'une volée de marches
au sommet d'une montagne, loin des côtes et de l'aéroport de Lantao
Ses mains ouvertes tournées vers le ciel, ses doigts recourbés en
un geste d'une grâce infinie, son sourire serein répandent sur les
alentours une douce puissante. Le toit relevé de quelques monastères
apparaissent ici et là entre les arbres, au loin. Autour de lui, huit déesses
indianisantes reçoivent les oboles, menues monnaies lancées vers
leurs mains jointes en prière ou tenant quelque coupe ou coffret
Une
allée bordée d'arbres mène au temple. Sur la queue des monstres
médusés, la pierre brille d'avoir été tant et tant
caressée
On
mange une assiette de nouilles sautées en attendant le car qui nous amènera
à Taï o. Et pour la taille de ce Bouddha ? ... C'est
22 mètres sans compter le socle et 34 avec ! Taï
o La mer s'est creusée une place, une enclave au cur
des montagnes. Et un village s'est construit là, village sur pilotis, maisons
de zinc ouvertes d'un côté sur la rue et de l'autre sur la mer. Un
vrai village avec ses commerces, son temple, ses maisons en dur et toutes les
autres
Sur les terrasses abritées, maison ouverte sur l'extérieur,
on joue au majhong et le bruit des pièces qu'on remue est comme une cascade
brusquement ouverte
Pas de voitures, ici non plus, rien que les oiseaux
et la succion de la mer sur les pilotis de bois couvert de coquillages. Le
silence est un tissu soyeux qu'on froisse en marchant. On respire un air de bonheur
malgré la pauvreté évidente des logis sombres. Les montagnes
sauvages tiennent enclos le village et son il d'eau égarée
là. On
met deux heures pour revenir, en car et puis en bateau tandis que le métro
m'emmènera en 25 minutes à l'aéroport situé à
l'autre bout de l'île
Car déjà il est temps de partir Je
n'ai pas encore parlé des passerelles transparentes qui enjambent les rues
pour permettre aux piétons de survoler la circulation, celle de Pacific
Place, par exemple, décorée de fleurs et de papillons. De l'escalator
qui sur 800 mètres, avec des paliers à chaque niveau, monte de Central
au delà de Robinson street. Du lent tic-tic des feux verts qui s'accélère
à l'instant où le feu passe au rouge, pour presser le piéton
de traverser, signaler à l'aveugle que c'est son tour. Des Philippines
qui par centaines, milliers peut-être, pique-niquent le dimanche, jouent
aux cartes, échangent des confidences et des photos dans les squares et
les rues rendues piétonnières pour elles ce jour-là, installées
sur un drap, des cartons, avant de retourner pour la semaine dans leur placard.
Central est " noir de femmes " le dimanche, jeunes femmes, rieuses,
épanouies, ravies ! Du
Man Mo Temple, tout au bout de Hollywood road et de ses antiquaires, sa belle
façade surchargée de sculptures, dragons et petits personnages à
l'abri de sa toiture, les énormes bâtons d'encens brûlés
par les fidèles, les offrandes, fruits et fleurs au pieds des chasses dorées
Du Western Market qui n'est plus qu'une jolie coquille ancienne à l'intérieur
un peu pauvre à côté des marchés et des " lanes
"
les " lanes "
ces allées de commerce où
l'on a à peine la place de passer entre les boutiques
Des statues
colorées, divinités baroques, bouddhistes ou taoistes, érigées
au bout de la plage de Repulse bay. Le musée de Kowloon était
fermé ce jour de Nouvel An, et je me suis promenée au soleil dans
le parc et jusqu'à la volière. J'étais à l'aéroport
quand ont éclaté les feux d'artifice, rêvant du Feng shui
dont j'ignorais toujours les principes.
Dans l'invisible du vent Dans la transparence
de l'eau Doit s'ordonner le visible
Je
revenais, chargée d'images mais ignorante plus que jamais. Marie-Florence
Ehret janvier-février 2002 |