Paris, Taipei, Hong Kong… Février 2002

 

L'Opération Souris jaune a été imaginée par l'Association des Écoles Françaises d'Asie du Sud-Est. Son but était de faire écrire, par les élèves francophones de ces écoles, des nouvelles policières mettant en scène des personnages récurrents.
C'est ainsi que plusieurs auteurs jeunesse se sont rendus au Japon, au Viêt-nam, au Cambodge, à Hong Kong, en Chine, à Taiwan, en Corée, en Indonésie, aux Philippines, en Malaisie, à Singapour et en Thaïlande. Alain Korkos, par exemple.

Plus que barbare, je suis partie en Asie sans rien connaître de ces pays, que des odeurs d'enfance : nuoc-man, opium, écorce d'orange lentement consumée… mais l'enfance est une autre histoire.
Celle d'aujourd'hui commence sur Internet avec " Pages d'écriture ", un site sur l'écriture créative en milieu scolaire.
Et c'est ainsi que quelques mois et quelques e.mails plus tard, j'attends dans l'aéroport de Roissy l'heure d'embarquer, toujours longue à venir.
Pour en savoir plus sur le projet " Souris jaune " qui détermine mon voyage, et faire la connaissance de Lucas, notre futur héros, vous pouvez aller sur son site.

En vol

Ou bien montez directement avec moi dans l'avion !
Avant même de décoller, le ton est donné par la petite serviette chaude distribuée aux passagers par de brunes hôtesses au teint mat.
Le soleil brille sur la piste.
L'avion s'est immobilisé au bout d'une longue course et puis soudain l'énergie gonfle les moteurs, on roule, on décolle en quelques secondes.
Des nuages de coton effilochés posent leur ombre sur les champs et les maisons. L'Ile de France. Un peu plus tard, on survole les sommets enneigés des Alpes, vagues écumeuses aux crêtes aiguës qui se croisent et se succèdent.
Les hôtesses de l'air en tablier jaune serré à la taille avec un petit empiècement jaune sur la poitrine, les jolies hôtesses aux cheveux noirs et lisses tirés en arrière en chignon, aux petites bouches rouge cerise qui nous ont servi un déjeuner, nous demandent de fermer les hublots par lesquels entrent un beau et chaud rayon de soleil. Je résiste mais mon voisin a fermé les yeux et il agite la main comme si la pointe de ce joli rayon qui tombe sur sa veste le dérangeait, le chatouillait, le démangeait… Il finit par se pencher vers moi et me prier, courtoisement dans un anglais inévitable, de baisser le hublot, et il va même jusqu'à allumer pour moi la lumière individuelle qui me permettra de continuer à lire sans qu'un rayon de soleil se pose sur le bord de sa veste… Je passe du Burkina à l'Argentine, du Guatemala à la Slovaquie, de la Norvège au Yémen grâce au dernier numéro de la revue Brèves. Mon voisin ne dort plus, il regarde la télévision, je soulève légèrement le volet du hublot et là, j'ai un choc ! Ce ne sont plus les crêtes neigeuses des Alpes que je vois, mais un désert glacé, une blancheur profonde, montueuse : l'Himalaya !
Il est à peine 15h30 à ma montre, mais le soleil bascule déjà en arrière. Un couchant accéléré. Nous entrons dans un pré-crépuscule gris, les neiges se noient à peine apparues dans une couche nuageuse frangée de jaune pâle. Le temps que j'écrive ces lignes et que je lise une courte biographie concernant les auteurs dont je viens d'achever les nouvelles, celle de Luis de Lion, par exemple, né en 40 au Guatemala, où l'on apprend que " son roman Le monde commence à Xibalba publié un an après son enlèvement et son exécution a fait de lui un classique… " et nous sommes dans une nuit profonde.
La neige tombe dans l'écran de télévision sur un couple qui échange un regard pathétique. Ma montre marque à peine 4h de l'après-midi. Je pense à l'écrivain guatémaltèque, à son destin tragique…
Nous traversons la nuit à rebours, il n'est pas 11h pm quand apparaît le jour renaissant, ligne intense du rouge à l'indigo en passant par un orange de feu.


Arrivée à Taïpei

A quoi ça ressemble, un directeur d'école française à Taipei ?
A quoi ça ressemble une écrivaine française ?
C'est ce que l'un et l'autre nous nous demandons ce matin-là. Et qui se résout en un regard. : c'est lui ! C'est elle !!
J'ai avancé ma montre de 7h. La nuit n'a pas duré assez pour que je m'endorme et déjà le jour se lève sous la pluie.

Un taxi nous emporte vers la ville. La même entreprise doit réaliser les panneaux routiers dans le monde entier. Mais les premiers -mes premiers- caractères chinois y font leur apparition. L'autoroute, la ville, les immeubles d'où dépassent les climatiseurs… le temps de prendre une douche chez Pierre. Oui, c'est Pierre, tout de suite, et Marie-Florence. Et puis ce sera Marie-Josée, Martine, Philippe, Lionel… le temps de prendre une douche, donc, et nous montons à l'école. L'école française partage avec les Anglais et les Allemands un campus européen perché dans la montagne au-dessus de Tienmu, l'un des quartiers de la ville.
Marie-Josée, c'est la secrétaire, m'offre un café, son sourire. Martine m'offre sa maison. Elle est blonde comme une princesse de conte de fées, avec une queue de cheval, comme Aggie dans les bandes dessinées de mon enfance. Elle est arrivée à Taipei il y a trois mois, elle a trois enfants à l'école et elle s'est proposée pour recevoir chez elle l'écrivain de passage. Le soir, elle lui fera même un feu dans la cheminée. Philippe et Lionel, ce sont les instituteurs de CE et CM avec lesquels je vais travailler. Il faudrait aussi nommer tous les enfants lancés dans l'aventure policière par leurs maîtres.
Après une première rencontre collective, nous nous partageons les deux classes en trois groupes : lecture, jeu, écriture… Toutes les activités sont tournées vers le livre que nous allons écrire ensemble. Enquêtes, indices, suspect… Cavalcades d'une salle à l'autre, rappel des faits. Qu'est-ce qu'écrire ? D'où viennent les idées ? Pas de théorie…
On ne travaille pas aujourd'hui ? demandent les enfants, ravis
Non, on met en pratique tout ce qu'on a appris, on écoute, on invente, on se concentre, on utilise sa mémoire et son imagination, on cherche ses mots, on en trouve d'autres. On n'y arrive pas, on n'y comprend plus rien, on est perdu, on puis soudain tout s'éclaire, on écrit, on est heureux.

L'atelier 1

J'ai reçu le chapitre 1 par mail juste avant de partir. J'ai adoré le ton, le rythme, la vivacité avec lequel il a été rédigé. Comment s'y sont pris les enseignants pour obtenir ce résultat ?
D'abord un travail oral. Recueil des idées au tableau. Construction du chapitre, puis division de chaque classe, 13 élèves dans l'une, 14 dans l'autre, en groupes de trois, chargé chacun d'écrire un passage. Chaque texte a ensuite été relu et enrichi par un autre groupe (l'écriture des CE, reprise par les CM). Les maîtres ont juste corrigé l'orthographe et la ponctuation, avec une fidélité rigoureuse au texte des enfants.
Quand j'arrive, le chapitre 2 est écrit. Les enfants en font la lecture, se partageant les rôles pour les dialogues, y compris l'aboiement du chien, et la voix du narrateur. Visiblement, le labeur n'a pas tué le plaisir. Mais le chapitre 2 ne " tient " pas tout à fait. Les premiers problèmes de cohérence apparaissent. Comment surmonter la difficulté d'un travail collectif, et celle inverse de la transmission des informations d'un groupe à l'autre…
Les enseignants ont prévu que le chapitre 3 serait écrit avec l'écrivain. Mais l'écrivain renâcle à donner à un groupe autorité sur ce qui a été écrit par un autre. La " correction " doit se faire avec l'auteur auquel on peut faire des propositions, des critiques mais qui seul tranche en dernier recours. Nous tombons d'accord sur le principe mais comment l'appliquer ?
Au terme de la première journée, nous avons pris contact les uns avec les autres, enfants, maîtres, écrivain, et nous passons au moins deux ou trois heures après les classes à réfléchir ensemble, sur l'organisation des jours à venir, compte tenu des salles disponibles, des cours de langue, et surtout nous discutons des questions de fond.
Comment permettre à chacun d'écrire réellement, librement, à l'intérieur d'un projet collectif qui doit demeurer d'un bout à l'autre celui des enfants ?
Les deux classes ont été confondues en une et divisées en trois groupes de neuf, eux-mêmes divisés en trois groupes de trois. Chaque groupe de neuf verra l'écrivain chaque jour, tandis que les enseignants feront avec les deux autres groupes, de la lecture d'énigmes pour les uns et le jeu du cluedo pour les autres. On ne quittera donc pas l'univers policier de la semaine.
Comme cette tension s'avère parfois trop forte, les mathématiques apparaîtront comme une détente nécessaire…
Tant bien que mal, nous tournons, nous écrivons, et je tape après les cours ce qui a été fait dans la journée, notant en italique les questions que soulève le texte.
Un des grands problèmes qui revient systématiquement, et que je retrouverai semblable à Hong-Kong, est la tendance " naturelle " des enfants à multiplier les idées concurrentes sans parvenir à en choisir une, à la défendre, à la poursuivre, à en tirer les conséquences… Très vite, plus personne ne sait si le chien a mordu, s'est sauvé ou a aboyé. Les propositions se chevauchent, les voix montent. On ne sait pas s'écouter…
Nous tentons donc de séparer les " choix d'auteurs " de ceux qu'impose la logique interne du récit déjà posé. Pas de vote démocratique pour décider si Lucas porte un tee-shirt bleu ou vert, l'auteur choisira et ce choix ne pourra être modifié que si Lucas change de vêtement… Il y a aussi quelque chose de mathématique à un roman, surtout un roman policier !
Car ce qui se dégage au terme de la semaine, c'est qu'il est utile, voire indispensable, de savoir dès le chapitre 2, la fin que le lecteur ne sait pas encore… On peut bien sûr, faire rebondir le récit au fur et à mesure qu'il avance, transformer en fausse piste ce qui avait été écrit " innocemment " comme la solution… Mais il y faut une souplesse et une logique que les enfants n'ont pas encore acquis. Et il faudrait que les " auteurs " écrivent à tour de rôle et à la suite les uns des autres. Or tout le monde doit pouvoir travailler en même temps.
Certains passages peuvent être travaillés par plusieurs groupes et s'enrichir par accumulation. Des mises au point doivent sans cesse être faites et refaites…
Au terme de la semaine, le chapitre 3 est écrit, le 4 et le 5 esquissés, tout devra être repris, cohérence ! cohérence ! développé par ci, coupé par là (bavardage, redites)… Nous avons passé des heures passionnantes à discuter sur la place du maître, de l'intervenant dans la liberté de création des enfants. Suggérer c'est souvent imposer. S'effacer, c'est ne pas donner ce que l'on possède… De la théorie à la pratique, l'attention, l'écoute, la vigilance, le respect ne sont pas des mots mais des instruments extrêmement sensibles.

Le tourisme

Le premier soir, je reste près de la cheminée où Martine a fait un grand feu pour nous faire oublier la pluie et réchauffer ma nuit blanche. Elle a rapporté deux barquettes toutes préparées que nous dégustons du bout de nos baguettes tandis que les enfants se régalent de raviolis à la tomate. Et puis tout le monde au lit !

Mais dès le lendemain, Pierre m'emmène découvrir les rues de Taipei : commençons par un massage de pieds ! Ce doit être délicieux ! Un peu douloureux aussi, me prévient-il.
Un peu ! Ouhlala ! Mais c'est une brute que la charmante et rieuse jeune fille qui me broie les pieds entre ses jolies mains ! Et son complice masculin qui s'occupe des pieds de Pierre n'a pas l'air plus tendre !! Nous protestons, soupirons mais nous livrons à nos bourreaux qui écrasent, malaxent, point par point du talon aux orteils nos pieds fragiles. La séance dure bien une demi-heure et se termine dans la chaude vapeur des serviettes. Nous voilà prêts à parcourir l'allée des serpents où agonisent tête en bas des tortues d'eau tandis que des poussins attendent d'être livrés aux serpents qui feront plus tard le régal des dîneurs.

Le marché de nuit est moins effrayant mais tout aussi fascinant. Amoncellement. De tout. A droite, à gauche et au milieu. Vêtements, chaussures…Je ne distingue plus rien dans cette profusion… une pierre polie et gravée… une théière au bec de dragon, un lion de bois sculpté, au bout d'un ruban rouge, des babioles de jade… La vapeur s'échappe des chaudrons où trempent des brochettes de toutes sortes, où mijotent de mystérieux ragoûts qu'on voudrait goûter tous… On se contentera après un bol de soupe sous lequel brûle une lampe à pétrole et où nagent champignons, légumes divers et fruits de mer de croquer les fraises tendres et fraîches enrobées d'une glaçage de sucre transparent qui craque et croque sous les dents.
Un autre soir, le professeur de taekwando n'est pas venu et nous tournons un peu en voiture et à pied avec Martine et les enfants, devant les grands immeubles prestigieux dont j'oublie aussitôt les noms, dans les petites rues où pendent les enseignes, on fait même un saut au marché de nuit avant d'atterrir chez Philippe qui nous attend pour l'apéritif. Il nous emmène dans un restaurant merveilleux où notre table est réservée derrière une porte de bois coulissante. A l'entrée du restaurant, un arbre imite les peintures chinoises classiques.
Nous finissons la soirée dans un bar qui vient d'ouvrir. On parle encore de notre roman, des enfants, de la vie à Taipei, de photographie…
Pour ma dernière soirée, Martine a préparé une tartiflette avec du reblochon tout droit venu de son dernier séjour en France. Délice exotique au pays du riz et des baguettes. Nous sommes une quinzaine autour du feu, autour de la table. Il pleut encore. Et alors ? C'est la fête !
Le samedi matin est un peu chiffonné de la nuit. Un dernier petit déjeuner familial. Et Martine nous emmène, mon sac et moi, chez Pierre. Il pleut toujours, et elle se transforme en providence, ma jolie taïwanaise blonde, pour un Anglais en panne avec ses deux enfants dans les tournants de la route.
J'aurais juste le temps avant de quitter Taipei de parcourir au pas de course le Musée National du Palais sans même me promener dans les jardins Hou-le et Chih-San qui l'entourent.
Il mérite mieux, mais au moins ai-je une idée des trésors qu'il renferme. Dont plus des trois-quarts restent enfermés à l'abri dans un bunker creusé juste derrière dans le flanc même de la montagne, protégés de toute agression éventuelle. Ainsi les collections exposées de poteries, bronzes, sculptures, peintures, calligraphies, coffrets, jades sont-elles régulièrement renouvelées.
Une courte promenade au marché des antiquités d'où je ramène, outre quelques boucles d'oreilles en vieil argent noirci et en cloisonné un cachet dont j'ignore le sens mais qu'un lion -yin ou yang ? - domine gueule ouverte. Des marionnettes anciennes attirent l'œil de Pierre. Pas le temps d'attendre le vendeur. Il y retournera le lendemain mais elles seront déjà parties.

Les encens du Lungshan Temple m'embaument encore l'esprit quand le taxi m'emporte vers l'aéroport...

Hong Kong

Un bar tournant… Je ne savais même pas que ça existait !
Lentement, la plate-forme effectue sa révolution. En une heure et quart environ, nous faisons le tour des buildings illuminés, des quartiers résidentiels, des dernières constructions perdues dans la montagne et revenons à cette tour pour laquelle mon hôtesse éprouve une tendresse particulière et qui change de couleur, passant du rouge au bleu et puis au jaune et au vert, inlassablement…

Il faisait nuit déjà quand je suis sortie de la navette de l'aéroport de Hong-Kong. Nous nous sommes reconnues d'un coup d'œil, elle, Annie, directrice de l'école primaire de Hong-Kong, 850 élèves, une véritable usine, de luxe ! (http://www.lfis.edu.hk) où chaque enfant est une pièce unique et précieuse. Moi, dont elle connaît le visage grâce au site qu'elle a visité.
Le métro a filé sur et sous l'eau, sans même que je m'en aperçoive, un taxi nous a emmenées à l'hôtel de l'Empereur, à Happy Valley, le temps de poser mon sac. Chambre 1811, 18ème étage. Ce n'était que le début de mes surprises. De la fenêtre, on voyait en alignement discontinu briller mille autres fenêtres. Mains dans les poches, nous sommes reparties pour une première visite nocturne de HK. En tram, vieux tramway brinqueballant qui pour 2 dollars (environ 2frcs, 30 centimes d'euros) vous emmène d'un bout à l'autre de la ville. Nous sommes arrivéees à Times Square. Ecran géant. Foire commerciale. Lanternes rouges. Décorations lumineuses. Foule.
Annie m'a fait remarquer la beauté des immenses gratte-ciel aux angles purs, aux avancées audacieuses jouant reflets et transparences, ruptures et continuités avec un art auquel aucun moyen n'a été refusé. Les plus grands architectes du monde ont déployé là leur talent.
Et pour porter mon admiration encore plus haut, elle a hélé un taxi qui nous a déposées ici, au 63ème étage de l'Hopewell Center où sans bouger de notre table et tout en savourant nos Guinness, nous faisons le tour du panorama… De l'immeuble qui change de couleur à celui qui scintille comme un papier cadeau, du golfe marin aux quartiers résidentiels où se pressent les hautes et fines tours comme des arbres dans une forêt, en passant par la montagne où les lumières se raréfient…

La ville est une forêt où poussent
Des troncs de béton et de lumière
Serrés sur le flanc de la montagne

Dès le lendemain, je fais la connaissance de Stanley, petite crique balnéaire sur l'autre versant de l'île. Nous passons par Repulse bay où, pour respecter les règles du Feng shui, considéré en Chine comme une science, la science de l'environnement, les architectes ont aménagé dans la façade d'un immeuble de résidence qui domine la baie, une large ouverture nommée " trou du dragon ".


Dans la façade de fenêtres opaques
Le dragon a ouvert
une série de vues par où passe le vent

Au terme d'une heure de route montagneuse et côtière, nous arrivons sur un petit port avec son marché touristique, ses restaurants et sa promenade, si différent des buildings du centre… Et pourtant c'est encore Hong-Kong.

L'atelier 2

Lundi matin commencent les choses sérieuses !
Les trois classes de CM, d'une vingtaine d'élèves chacune, ont travaillé séparément. Lucas, notre héros, connaît donc trois destins hong-kongais différents.
Le problème est de ne pas oublier qu'il s'agit du même Lucas. Et qu'il a toujours ses taches de rousseur, même au-delà du premier chapitre, qu'il est curieux et débrouillard, qu'il aime internet et le taekwando, que ses parents etc…. L'écrire au tableau ne suffit pas, il faut que chaque auteur ait en main son " cahier des charges " et s'y réfère !! Cela n'a l'air de rien mais une semaine ne suffira pas à le faire entrer dans les habitudes.
Là aussi, je passerai chaque jour au moins une fois dans chaque classe pour des séances d'heure et demie à deux heures. Il y aura des suppléments de ¾ d'heure, à l'occasion d'une bibliothèque par exemple… Difficile ici, de diviser la classe, l'avantage est que le maître peut participer à l'atelier, l'inconvénient est qu'il est quasi impossible de mener un véritable atelier avec une classe entière, et que les alternances entre le travail collectif et le travail individuel ou en petits groupes se traduissent chaque fois par un chahut de chaises, de protestations, et désordres divers.
Mais avant tout il me paraît nécessaire de savoir où l'on va car mes jeunes auteurs attendent, comme s'ils la lisaient, qu'apparaisse la suite de l'histoire, et comme à Taipei, ils ont mille idées concurrentes : " on pourrait dire…peut-être que Lucas… ou bien… ou bien… ", mais le plus grand mal à en mettre deux bout à bout !
Lucas a trouvé une bouteille au fond de l'eau… Qu'y a-t-il dans cette bouteille ? D'où vient-elle ? Plusieurs choix sont possibles, mais le choix fait, il ne sera pas sans conséquences… Ah, les conséquences et les causes…
Dans chaque classe donc, nous aurons au terme de la semaine un premier chapitre sur lequel je demande aux auteurs de revenir régulièrement pour développer ce qui a été posé : personnages, situation. Un schéma plus ou moins détaillé de la suite, et une idée claire (enfin autant que possible) des circonstances du délit.( qui ? pourquoi ? comment ? ).
(Premier Chapitre de : Classe de Marc, Classe de Regis, Classe de Philippe)
La grande difficulté est de travailler simultanément avec tous les élèves, donc sur l'ensemble de l'histoire dont un morceau est confié à chacun, donc de concevoir d'abord l'histoire avant de l'écrire (on pourrait imaginer que chaque élève ou groupe d'élèves écrive à tour de rôle, reprenant le récit là où l'ont laissé les précédents mais comment l'organiser dans le cadre d'une classe ?).

Dans chaque classe, nous avons donc divisé l'histoire en autant de fragments que de groupes d'enfants, et nous comptons procéder par expansion. Une première version sert de base à la rédaction d'une seconde version plus longue, plus nourrie, une troisième, quatrième si le temps le permet. A chaque étape d'écriture doit correspondre un temps de lecture " critique " c'est à dire ouvrant à des commentaires, de la part des autres élèves, de l'enseignant et de l'écrivain, qui poussent l'auteur (les auteurs car le plus souvent les enfants écrivent par groupe de trois ou quatre) à développer leur texte, en fonction aussi des éléments nouveaux apportés par l'écriture des autres parties… Les transitions d'un passage à l'autre seront attentivement examinées.

Dernier rappel : souvenez-vous que les personnages doivent avoir un corps, c'est à dire un nez, des oreilles, une langue... bref, cinq sens pour appréhender la "réalité" dans laquelle auteurs, vous allez plonger le lecteur, un corps et une tête pour penser, réagir à un monde extérieur que le lecteur découvre justement par la réaction des personnages...
Il ne s'agit pas de multiplier des actions "abstraites" sans lieu ni temps, mais de donner à chaque action toute son épaisseur ! Quand commence un chapitre on doit savoir où on est, et quand !
L'écrivain poursuivra ses commentaires par mail… Il y a du pain sur la planche !
Mais ce soir c'est les vacances ! Bientôt la nouvelle année chinoise, l'année du Cheval. On se quitte avec des grands au revoir.
On retrouvera Lucas à la rentrée.

 

Tourisme

Peu de tourisme durant la semaine : les journées commencent tôt et elles sont bien chargées. Quelques dîners cependant, mémorables : le restaurant tournant de sushi (décidément on aime ce qui tourne bien à Honk-Kong !) On fait la queue pour y entrer, au sous-sol d'un centre commercial, puis on s'installe autour du grand bar où défilent les assiettes de couleur différentes qui permettront au serveur de vous faire l'addition à la fin : trois vertes, deux bleues, deux à fleurs… saumon, thon, œufs de poisson, riz bien sûr, crevettes, champignons, oeufs… C'était bon !
Le Pekin Restaurant est aussi dans un centre commercial, celui de Mitsokushi, en face de Sogho, à Causeway Bay… je suis devenue incollable sur les arrêts de tram !
Au Pekin Restaurant, donc, on se retrouve en fin de semaine avec quelques enseignants, les " miens " bien sûr, ceux avec lesquels je travaille, et ceux qui le voulaient, le pouvaient… Il y a Jocelyne, la bibliothécaire qui a suivi et activement soutenu l'atelier en tapant, relisant avec nous les écrits en cours, et qui poussera la gentillesse jusqu'à me laisser les clés de son appartement pour les quelques jours qui me restent à passer à HK. Somptueux dîner de canard laqué et autres chinoiseries délectables.
Mais ne méprisons pas les brochettes de calamars, les boulettes de poissons et les pinces de crabe reconstituées qui se vendent à tous les coins de rue et dont je me régale aussi…
Un seul regret : la semaine est passée trop vite, ce dîner a été la seule occasion de se rencontrer de façon un peu conviviale… le carnaval, les vacances, le rythme de cette énorme école n'ont pas permis de faire autrement… pour cette fois !

Après le dernière heure de classe, nous avons fait un tour, la directrice, la secrétaire et moi, à Victoria Park où le marché aux fleurs de la nouvelle année venait d'ouvrir. Branches de pêchers, de forsythias, orchidées, dahlias, chrysanthèmes, orangers, mandariniers, pamplemoussiers en pots, lys, amaryllis, tulipes, iris, primevères même, sans parler de toutes ces fleurs moussues, pomponnées, élancées, étranges, familières dont j'ignore le nom. Et ces bambous tordus, ces branches de " fruits de la chance " sorte de citrons ou de coings d'un beau jaune orangé…
Ce sera encore plus beau le lendemain au marché aux fleurs de Prince Edouard. Une foule compacte se presse brandissant ses fleurs comme des drapeaux. Une manifestation de fleurs ! Nous sortons, Annie et moi, de ce bain de foule et de fleurs pour monter au marché aux oiseaux. Les serins, perruches, perroquets, mainates et autres espèces pépiantes, criantes, gazouillantes rivalisent de couleurs et de charme dans leur cages d'osiers.
Puis ce sont les poissons, du plus minuscule au plus gros, plats ou ronds comme des baudruches, fluos, turquoises, roses, jaunes, rayés, zébrés, tâchés, et jusqu'aux hippocampes d'or, sirènes minuscules à tête de cheval.
Nous sommes passées hier soir, après le Victoria Park au marché de nuit de Temple Street où l'on trouve absolument tout ce que l'on peut souhaiter, du coupe-ongles à la robe de cérémonie, en passant par les bijoux, bien sûr, les sacs, les stylos, les montres - Oh les montres !!- les godemichés vendus par de très dignes ancêtres, les chaussures, les vêtements d'enfants, les vestes de soie, les statues de jade, les bouteilles peintes, j'en oublie autant que j'en nomme ! et un délicieux restau de fruits de mer (pollués ?) clams merveilleusement bien assaisonnées dégustées dans le chahut du marché !

Ce soir, autre style : Annie m'emmène au sommet de l'hôtel Péninsule, où les jeunes mariés de luxe viennent passer leur nuit de noces, conduits par une rolls de location. Dans l'ascenseur on se croirait à l'intérieur d'un arbre, la lumière baisse quand on arrive au niveau du bar qui nous offre son atmosphère feutrée et surtout une vue imprenable sur le golfe de Honk-Kong, A gauche, c'est Tin Hau, la déesse de la mer, juste au bout de Victoria Park. L'enseigne de Sharp domine Causeway bay. Au niveau de Wan chaï un cheval lumineux reste cabré devant la mer et l'année à venir, Philipps, Siemens, Canon brillent en lettres majuscules dans le ciel sans étoiles, au niveau d'Admiralty galope inlassablement un autre cheval lumineux. Entre les hautes bandes jaunes qui couronnent ces trois immeubles, je sais pour y être allée, la grande volière au sommet de Hong Kong Park, où dorment les perroquets jaunes et rouges et tous les autres oiseaux dont j'ai guetté l'apparition entre deux branches… Et cet immeuble merveilleux où grimpe un panda qu'on ne peut cesser de voir dès lors que l'œil a été informé.


Sur la tour de verre
Les pattes du panda
Ne sont pas invisibles

L'immeuble que nous appelons : " papier cadeau " miroite non loin de celui qui change de couleurs, au-delà du Star ferry de Central. Les deux tours du ferry de Macao s'avancent dans la baie que sillonnent les petits ferrys. Des lasers balayent le ciel vide et opaque.
Nous restons longtemps devant ce déploiement mouvant, ce voile de Maya que la fée électricité agite devant nos yeux… Chinguetti, ma belle oasis ensablée, sombre et silencieuse sous ton ciel constellé, que tu es proche et loin...

CheungChau

Les vagues se brisent contre la coque du bateau, on aperçoit des côtes nues et escarpées d'ilôts déserts, de gros cargos et de petits bateaux côtiers, les jonques ont perdu leurs voiles membrées et filent à la vitesse de leurs chevaux-moteurs. Au bout d'une heure - cinquante-cinq minutes exactement - on accoste. Les bateaux se pressent dans le port que bordent la jetée, sa promenade, ses terrasses, ses boutiques…. Pas de voiture dans cette petite île où il n'y a que la plage, le port, quelques rues et places plus charmantes les unes que les autres. Les maisons n'ont qu'un ou deux étages, terrasses et balcons fleuris poussent comme des plantes de hasard. Des lanternes pendent ici et là. L'encens brûle dans de petits temples au coin des rues, devant une boutique. Les fruits et les légumes paraissent plus beaux et brillants qu'ailleurs. Fruits du dragon roses aux cornes vertes, fruits-étoiles aux angles jaunes. Pamplemousses gros comme des ballons, letchies velus, pommes aux joues rouges.

Une famille nous rejoint à la table où l'on mange des vapeurs parfumées dans le bruit du ressac devant les barques qui dansent.

On rêve un peu les pieds dans le sable, on se promène encore, découvrant des places nouvelles, et puis on reprend le ferry pour Central !

Macao

Pas de visite complète de l'île sino-portuguèse, quelques instantanés seulement…
Tout est rouge et blanc dans cette rue, une traverse dans l'avenue Almeido Ribeiro. Les maisons n'ont qu'un étage et le ciel paraît plus grand et plus clair que dans le reste de la ville.
Les rues - rua, avenida, traverso, estrada - ont toutes des noms portugais inscrits en bleu sur carreau blanc, accompagnés des caractères chinois qui les signifient.
Sur la place aux pavés noirs et blancs, en costumes rouges et jaunes pour les uns, verts et roses pour les autres, des jeunes gens -filles et garçons - se préparent pour une danse du dragon. La bête gît sur le pavé, sa grosse tête de papier grimaçante attendant d'être brandie.

Le gardien du cimetière San Miguel où dorment de leur dernier sommeil des Oliveira, Ferreira
et autres Terezinha écoute à la radio une mélodie chinoise. La voix aiguë et affectée de la chanteuse berce les morts.
Beaucoup de touristes devant la façade plate des ruines de Sao Paulo. Des cars entiers venus de Chine populaire, avec enfants et appareils photos. Ce qui reste d'un monde avec son imagerie de saints et de colombe.
Au bout de la rua San Antonio et de ses antiquaires, on arrive au Jardim et Gruta Luis de Camoès et je vous propose de nous y reposer un moment.
Sur un banc de vieux musiciens jouent d'instruments innommables, trois archets, une corde pincée et un percussionniste accompagnent une vieille chanteuse aux cheveux teints. Les spectateurs sont aussi vieux que les musiciens. Il manque un Wim Wenders pour leur rendre l'éclat qu'ils méritent, mais qu'importe, écoutons-les. Deux chanteuses plus jeunes ont remplacé l'ancienne qui les écoute en fumant une cigarette, l'une a la voix plus grave, l'autre monte dans des aigus nasillards. Puis, c'est un couple. De nouveaux musiciens arrivent, un, un second, s'installent à côté des premiers, on tire une chaise et puis voilà…
Des pétards annoncent avec un peu d'avance le Nouvel An à venir.
Dans une arbre voisin, les oiseaux continuent à chanter.
Le vent soulève les partitions tenues par une pince à linge.
Des cages sont accrochées aux arbres. Leurs propriétaires ont emmené leur oiseau prendre l'air… Ils repartent en couvrant la cage d'un tissu blanc, ou le laissent sans rien, c'est selon…

Il y aussi des temples, des casinos et tout ce que je n'ai pas vu… Macao...

Le grand Bouddha

Combien mesure-t-il ? 20, 50 mètres de haut ? Il dresse sa masse splendide de bronze tout en haut d'une volée de marches au sommet d'une montagne, loin des côtes et de l'aéroport de Lantao…

Ses mains ouvertes tournées vers le ciel, ses doigts recourbés en un geste d'une grâce infinie, son sourire serein répandent sur les alentours une douce puissante. Le toit relevé de quelques monastères apparaissent ici et là entre les arbres, au loin. Autour de lui, huit déesses indianisantes reçoivent les oboles, menues monnaies lancées vers leurs mains jointes en prière ou tenant quelque coupe ou coffret…

Une allée bordée d'arbres mène au temple. Sur la queue des monstres médusés, la pierre brille d'avoir été tant et tant caressée…

On mange une assiette de nouilles sautées en attendant le car qui nous amènera à Taï o.
Et pour la taille de ce Bouddha ?
...
C'est 22 mètres sans compter le socle et 34 avec !

Taï o

La mer s'est creusée une place, une enclave au cœur des montagnes. Et un village s'est construit là, village sur pilotis, maisons de zinc ouvertes d'un côté sur la rue et de l'autre sur la mer. Un vrai village avec ses commerces, son temple, ses maisons en dur et toutes les autres… Sur les terrasses abritées, maison ouverte sur l'extérieur, on joue au majhong et le bruit des pièces qu'on remue est comme une cascade brusquement ouverte…
Pas de voitures, ici non plus, rien que les oiseaux et la succion de la mer sur les pilotis de bois couvert de coquillages.
Le silence est un tissu soyeux qu'on froisse en marchant. On respire un air de bonheur malgré la pauvreté évidente des logis sombres. Les montagnes sauvages tiennent enclos le village et son œil d'eau égarée là.

On met deux heures pour revenir, en car et puis en bateau tandis que le métro m'emmènera en 25 minutes à l'aéroport situé à l'autre bout de l'île…
Car déjà il est temps de partir

Je n'ai pas encore parlé des passerelles transparentes qui enjambent les rues pour permettre aux piétons de survoler la circulation, celle de Pacific Place, par exemple, décorée de fleurs et de papillons.
De l'escalator qui sur 800 mètres, avec des paliers à chaque niveau, monte de Central au delà de Robinson street.
Du lent tic-tic des feux verts qui s'accélère à l'instant où le feu passe au rouge, pour presser le piéton de traverser, signaler à l'aveugle que c'est son tour.
Des Philippines qui par centaines, milliers peut-être, pique-niquent le dimanche, jouent aux cartes, échangent des confidences et des photos dans les squares et les rues rendues piétonnières pour elles ce jour-là, installées sur un drap, des cartons, avant de retourner pour la semaine dans leur placard. Central est " noir de femmes " le dimanche, jeunes femmes, rieuses, épanouies, ravies !

 

Du Man Mo Temple, tout au bout de Hollywood road et de ses antiquaires, sa belle façade surchargée de sculptures, dragons et petits personnages à l'abri de sa toiture, les énormes bâtons d'encens brûlés par les fidèles, les offrandes, fruits et fleurs au pieds des chasses dorées…
Du Western Market qui n'est plus qu'une jolie coquille ancienne à l'intérieur un peu pauvre à côté des marchés et des " lanes "…les " lanes "… ces allées de commerce où l'on a à peine la place de passer entre les boutiques…
Des statues colorées, divinités baroques, bouddhistes ou taoistes, érigées au bout de la plage de Repulse bay.

Le musée de Kowloon était fermé ce jour de Nouvel An, et je me suis promenée au soleil dans le parc et jusqu'à la volière.
J'étais à l'aéroport quand ont éclaté les feux d'artifice, rêvant du Feng shui dont j'ignorais toujours les principes.


Dans l'invisible du vent
Dans la transparence de l'eau
Doit s'ordonner le visible

Je revenais, chargée d'images mais ignorante plus que jamais.

Marie-Florence Ehret janvier-février 2002

 

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