Photo
de Michèle Métail Jai
découvert Taipei et Hong Kong en janvier 2002
dans le cadre de lopération Souris Jaune, devenue en cours de route
Dragon Noir. Madame Annie Bouttier, directrice du primaire au lycée
français de Hong Kong a trouvé cette expérience intéressante,
et elle a eu envie de la renouveler au bénéfice dun plus grand
nombre de classes. léquipe pédagogique était partante,
en particulier les trois instituteurs avec lesquels javais travaillé.
Nous avons monté ensemble un projet dinitiation à lécriture
poétique. Et cest ainsi que jai eu le bonheur de
me retrouver début décembre à Happy Valley (Hong Kong) pour
deux semaines. Avec les classes de Valérie, Hortense et Maryse
en CP, de Yannick et Christine en CE1, de Régis en CM1, de Philippe et
Marc en CM2. 8 classes en tout, sur 15 jours, 4 séances par
classe. Des
îles et de la poésie
Retour à Hong Kong
Bien sûr je suis retournée à Stanley Market, où
de nouveaux aménagements ont été faits le long de la mer,
au marché de nuit de Temple Street où je nai pas résisté
au plaisir d acheter un nouveau stylo ni à celui de manger des coquillages
savoureux, je me suis régalée aussi de brochettes des rues, de sushis,
de soupe thai dans une noix de coco fraîche
De nouveaux
buildings ont poussé sur les flancs de la montagne, mais le lycée
français est resté à peu près semblable à lui-même.
Jai retrouvé des visages familiers, la bibliothécaire, des
enfants, des maîtres
Oublié Lucas et ses policières
aventures
Nous allions ensemble, à pas denfants à la
rencontre du poème. Un poème ? Une façon particulière
dassocier les mots, de les marier. Autrement que ne le ferait la volonté
de dire. Partir des lettres, lettres préférées, première
lettre du prénom
Nutiliser que des monosyllabes (comme la langue
chinoise). Rêver, faire rêver
Prêter au soleil et à
la lune des voix denfant, saisir au filet de lécriture limaginaire
libéré. Ecrire avec Rimbaud, ce que je vois, ce que jinvente.
Ce que je suis. Jouer et faire jouer les mots à l écoute des
sons, à lobservation des formes. Ecrire enfin au plus court,
au plus dépouillé, dans lesprit de linstantané
: « simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment » :
un haiku, selon la belle définition de Basho. Dans le rythme court
long court du poème japonais. Il ne reste plus quà
attendre que les enseignants relisent, réordonnent, et quavec la
collaboration dIsabelle Besançon, professeur dArts Plastiques,
ils fassent une plaquette des uvres des enfants. Vous pouvez dores
et déjà lire les textes crées au cours de ces deux semaines
(Valérie,
Maryse
et Hortense
en CP, Yannick
et Christine
en CE1, Régis
en CM1, Marc
et Philippe
en CM2). Mais quittons Hong Kong, oublions lécole,
prenons un ferry et allons faire un tour sur les îles alentour
Cheung Chau Parties dès
le matin par un beau soleil,
Jocelyne, la bibliothécaire, et moi débarquons sur cette
petite île enchanteresse où les voitures nont pas droit de
cité.
Il fait si chaud que Jocelyne achète un short, et quaprès
le déjeuner je me baigne ! Nous
avons traîné dans les trois rues de la petite ville, acheté
des mandarines et un ensemble de soie
cest déjà le soir
! Lantau (Muy Wo)
Philippe, instituteur de CM2, mattend sur le quai, nous
embarquons. Heureusement quOlivier son ami est venu nous chercher
à larrivée avec des imperméables !
Mais même sous la pluie, quel plaisir de pédaler entre les cocotiers
et autres bananiers. Paysage
de montagne dans la brume, dim sun (délicieuses bouchées à
la vapeur), philosophie, histoire et poésie : une journée délicieuse
chez Olivier et Siu Wai.
Lamma
Non
il ne pleut pas mais enfin, il ne fait pas chaud
Cette
fois cest à pied que nous allons entre les potagers et les bambous
jusquà la maison de Laurence où règne une harmonie
raffinée. On
redescend un peu plus tard, après quelques tasses de thé et de confidences
manger des crevettes au bord de leau. La
pluie arrive quand je monte sur le ferry. Peng
Chau La plus petite, la plus charmante peut-être,
de ces éclats dîles qui font face à la très puissante,
la très hautement construite, la très brillante île dHong-Kong. Annie
Bouttier devant un petit temple
ses îles lointaines et ses criques Une île où
lon simagine le temps dun clignement dil vivre en
secret une vie entière
Arrivée
au Vietnam
Ho-Chi-Minh ville. Température extérieure 32°
Lavion se pose
Un rêve mort
Avant de partir, jai rédigé un projet dans le cadre
dune demande de bourse « Mission Stendhal ». Jy écrivais
: Le voyage a toujours été pour moi une
nécessité. Sans racines légitimes, cest seulement en
rencontrant lautre, le différent, létranger, que je
peux me découvrir, ou minventer dans lécriture.
On dit parfois que chaque être humain refait au cours de son développement
tout le parcours de lhumanité. Je pense pour ma part quil est
habité par toutes ses cultures. Comme une graine enfouie que la rencontre
fait germer, chaque culture, chaque mode dêtre trouve en nous son
écho, affaibli, débile certes, mais reconnaissable. Cest en
moi que je rencontre lautre, le juif, larabe, le burkinabé,
lindien, le nomade
Je le reconnais, je reconnais en lui une part
dêtre restée inaccomplie et qui sépanouit fugacement
dans la rencontre. Mais au Vietnam jappartiens un peu
plus encore. Enfant, jai goûté ces fruits frais, blanc nacré
dans leur écorce rose, lisses à lintérieur, grenues
à lextérieur, à la chair translucide et parfumée,
les letchies que « mon parrain » recevait dHanoi. Mon parrain
était vietnamien, opiomane et marchand de laques. Sa sur vivait à
Hanoi et lui envoyait ce quon ne trouvait pas encore en France, les feuilles
de riz cassantes pour faire les nems et les rouleaux de printemps, le vermicelle
transparent, les champignons parfumés et même les crevettes séchées
que je croquais comme des bonbons . Elle a émigré quelques années
plus tard, elle est venue à Paris où je lai rencontrée
une ou deux fois, déjà vieille, minuscule, puissante et effrayante
comme une divinité étrangère. Mon parrain est mort aujourdhui,
il na pas eu dautre enfant que moi, ses neveux sont tous médecins
à Bourg-la-Reine, à la retraite sans doute
Cest pour avoir autrefois beaucoup rêvé du Vietnam, des rizières
et des paysannes cachées sous leur chapeau pointu que je rêve aujourdhui
de découvrir ce pays dans sa réalité contemporaine.
Je pars à la recherche dune rencontre réelle, je
voudrais échanger mes rêves contre ceux dune autre. Retrouver
peut-être des Nguyen Thuong, jeunes descendants du mien, ou de ma génération,
si étrangers et pourtant familiers puisque Jacques Khoa, mon parrain, Nguyen
Thuong Khoa de son nom complet, petit-fils dun général nationaliste
catholique, appartient à mes premiers souvenirs, puisquil ma
donné non pas la vie mais les premières impressions qui sy
rattachent, la couleur ivoire de sa peau, son odeur deau de Cologne et dopium,
le goût du caché, du secret, la nostalgie de ce pays quil avait
quitté à dix-sept ans et dont il a gardé toute sa vie la
nationalité, la façon de cuisiner, la grande lanterne de verres
colorées et la petite lampe à huile, une bibliothèque de
bois noir décoré de dragons dor comme peut-être on nen
voit plus là-bas
Je suis partie, jarrive,
à la poursuite dun rêve mort. Je suis vietnamienne, mais qui
le sait, qui le voit ? Jarrive à laéroport
et jattends presque une heure au bureau de limmigration pour présenter
mon passeport français, son visa en règle, qui commence aujourdhui,
15 décembre 2002. La foule attend, tassé de lautre côté
des barrières et des vitres dans lair non conditionné. Personne
ne mattend, ou plutôt si, linévitable taxi qui gonfle
les prix pour larrivant encore innocent. Et qui maffirme que le rue
recommandée par mon guide nexiste plus, est en travaux, chantier,
démolition ? mais que bien sûr, il va memmener ailleurs, dans
un hôtel bon marché
Premier marchandage qui fait tomber la
course de 150000 à 100000 dongs. Ce nest quen suivant le chauffeur
jusquà son taxi, garé sur un parking extérieur, que
je vois la rangée de taxis jaunes, munis sans doute dun compteur,
auxquels jaurais dû madresser. Lair est chaud, humide.
Jouvre la fenêtre du taxi, mais le chauffeur me fait signe de la refermer
: la voiture est munie de lair conditionné et va se rafraîchir
en quelques instants. Il memmène à un hôtel où
je visite deux chambres qui ne me convainquent pas. Je réussis à
me débarrasser de mon chauffeur, laisse mon sac dans le hall de lhôtel,
et pars à laventure sous le soleil de midi. Hésitant
au bord de la route, je suis vite repérée par un cyclo-pousse qui
parle un peu anglais et me montre ses lettres de noblesse, son livre dor
rempli par les touristes de tous les pays qui ont exprimé dans toutes les
langues leur satisfaction davoir découvert Ho-Chi-Minh et les rives
du Mékong avec Kim. Je ne ferai pas non plus long feu avec
Kim, qui me fera visiter trois pagodes et deux marchés en une journée,
sans parler du Palais de la Réunification, de la grand-poste et de Notre-Dame
de Saigon, et qui surtout me trouvera un hôtel plus agréable et moins
cher pour ma première nuit vietnamienne. Dès le lendemain
de mon arrivée, je pars avec madame An vivre ma drôle de vie de passante.
Madame An est professeur de français au lycée Marie Curie.
Avant de partir je lui ai envoyé deux livres, et lui ai proposé
de rencontrer ses élèves. Elle ne ma pas répondu car
elle ne manipule pas très bien lordinateur, mais elle a bien reçu
les livres, seulement jarrive mal : cest la période des révisions
et des examens, pas la veille des vacances. On fête Noël, éventuellement,
mais ce nest pas une fête officielle, les vacances viendront plus
tard, pour le Têt, le Nouvel An chinois qui aura lieu cette année
le 31 janvier et nous fera entrer dans lannée de la Chèvre.
Elle souhaite cependant organiser une rencontre avec ses élèves,
et puis elle a pris contact avec son amie madame Binh qui propose de mhéberger
dans une somptueuse maison de trois étages, actuellement vide, et qui lui
appartient, à 50 m de chez elle. madame
An et moi devant le lycée Marie Curie Cest
là quentre deux périples, je passerai des heures douces, princesse
solitaire à mon balcon fleuri dans mon palais désert,
Mon palais désert
Mon balcon fleuri
Première soirée
Mais ce dimanche soir de mon arrivée, je ne connais encore rien
ni personne, jai posé mon sac pour la nuit au Thinh Vuong Hotel (79
Ky Con Street ; District 1) qui pour 12$ offre air conditionné et baignoire
( Non loin, le Kimkim 178/13 Co Giang street à 6$ na quun ventilateur
et une douche, mais beaucoup de charme, malheureusement pas de chambre libre avant
le lendemain). Ce dimanche soir donc, après mêtre longuement
perdue dans le marché Ben Thanh,
le marché Ben Thanh
entre poissons séchés
et tuniques de soie tandis quune pluie de mousson tardive frappait follement
du tambour sur le toit du marché, je regagne mon hôtel le temps dun
bain, avant de retourner traîner dans la nuit tiède autour de la
statue équestre de Tran Nguyen Hai. Une incroyable coulée
de deux roues inondent les rues, les flots se croisent, sinterpénètrent
à petits coups de klaxon, sans heurts, sans cris, avec un élan invincible.
Traverser la rue est une expérience étonnante, sans courir, infléchissant
son rythme à peine pour que roulent devant, derrière les petites
Hondas qui ne sarrêtent jamais
on passe la rue comme une rivière,
sans gestes brusques pour éviter dêtre heurté, on va,
confiant et prudent jusquà la rive opposée. Petite victoire.
Sur la place se tient un spectacle surprenant. Par centaines, des jeunes couples
sont enlacés sur leur moto arrêtée, ils sont couchés
dessus, assis en tailleur, appuyé lun à lautre, écroulés,
vautrés, sur lengin ou dans lherbe au pied ou plutôt
à la roue du précieux destrier
Ils bavardent ou se taisent,
se tiennent la taille, le bras, lépaule. Ils mangent une glace, autre
chose, rien. Des enfants jouent sur le terre-plein central. Le marchand de crème
glacée pédale au rythme de la musique typique de son commerce. Ca
sent la barbe à papa ici et le nuoc mam là, ou plus exactement le
poisson séché grillé. Le World Center dresse sa haute silhouette
américaine non loin dun chantier protégé dune
barrière. Chez madame Binh
Jhabite maintenant chez madame Binh après avoir dormi
un soir chez elle, jai emménagé dans cette maison superbe
et incompréhensiblement vide madame Binh soccupera de moi
durant tout ce séjour comme une grande soeur, tentera en vain de soigner
une toux que la chaleur humide et la pollution aggrave à lexcès,
me promènera, me transportera, me nourrira, « Continuez, madame »,
dit-elle chaque fois que je pose mes baguettes sur mon bol, elle pose dans mon
bol les meilleurs morceaux, me tend des bananes, exquises - pas mangé daussi
bonnes bananes depuis lenfance ! des longans, des oranges, ou ces fruits
curieux quelle appelle fruits de lait car de leur intérieur blanc
coule un jus laiteux et sucré. « Continuez madame »
Elle
memmènera au marché, chez son tailleur et à linstitut
des jeunes masseuses aveugles où, séparées par un léger
rideau, nous serons massées ensemble. avec
madame Binh (vous remarquerez derrière les grilles de lentrée
lindispensable vespa)
Avec Huyen, la fille de madame Binh, en ao dai, costume traditionnel, blanc,
son uniforme pour aller au lycée Etrangère
Je nai pas les cheveux bruns. Je nai pas les yeux noirs. Jaurais
peut-être en vieillissant le teint de vieil ivoire jauni quavait mon
père
je dis « mon père ». Il aurait pu lêtre
mavait-il dit une fois, sil navait pas été stérile.
Sil avait été mon père, mon père biologique,
je serais autre, une autre ? Il mappelait sa fille. Il navait pas
denfants, pas dautre enfant que moi. Juste des neveux quil voyait
une fois par an, et encore. Je lappelais « mon parrain », ou
bien Jacques, il sappelait Khoa. Nguyen Thuong Khoa. Il avait dix-sept ans
quand il a quitté son pays. Cétait avant la guerre, les guerres.
Je nétais pas née. Les guerres sont finies aujourdhui
enfin au Vietnam. Jai plus de 50 ans. Il est mort depuis 25 ans
Plusieurs
guerres ont bouleversé ses pays, celui où il est né, celui
où il a vécu. Je nen ai connu aucune. Les jeunes Vietnamiens
qui senlacent le dimanche soir au centre dHo Chi Minh non plus. Comme
Huyen, ils ont travaillé toute la semaine, étudié langlais,
le français, la géographie, la biologie, lhistoire, la physique,
la chimie. Ils se sont levés tous les jours à 6h ou avant. Ils ont
fait de la gymnastique, du tennis. Ils ont traversé la ville dun
bout à lautre sur leur Honda. Les filles ont enfilé de longs
gants qui les protègent du soleil jusquaux épaules. Et puis
ils ont enlevé leur foulard, leur casquette, leur masque de tissu pour
se tenir la main, simplement installés lun contre lautre, fille
et garçon, sur leur mobylette. Ils profitent du présent et rêvent
dun riche avenir. Cest le début du XXIème siècle. Un
siècle plus tôt, Khoa avait épousé une jeune Française,
une amie de pension de ma mère. Cest ainsi quils se sont connus.
Sa jeune épouse est morte dun cancer pendant lOccupation. Je
suis née dix ans plus tard. Il a épousé ma mère bien
plus tard encore. Mon fils son petit-fils disait-il venait de naître.
Il avait alors 76 ans, il est mort deux ans après son second mariage.
Dans sa jeunesse, il a refusé de prendre la tête, et même
de rejoindre un groupe de jeunes nationalistes émigrés qui lavaient
contacté. Son père avait été un personnage important
de la lutte nationaliste, mavait-il dit, mais lui ne voulait rien savoir
de la politique. Il sadonnait à lopium depuis ses 15 ans et
peut-être même avant, avec modération. Il avait initié
ma mère à ces plaisirs, et jy assistais durant toute mon enfance,
enchantée par lodeur et la lumière douce de la lampe. De ce
Vietnam-là, les enfants de la place centrale ne savent rien. De ces enfants,
il na rien su. Est-il aujourdhui une de ces « âmes errantes
» qui animent certains jeunes perdus, «vaurien, voyou, délinquant,
menteur, insolent » (Nha Ca Les canons tonnent la nuit) « Selon
la croyance des Vietnamiens, les âmes errantes sont les âmes des défunts
auxquels personne ne pense ni ne fait doffrandes en signe de commémoration
» précise le traducteur. Sa pensée, toujours présente
en moi le garde-t-elle de cette fatale errance ? Sérieux ou insouciants,
les jeunes gens et plus encore les jeunes filles daujourdhui ont la
vie devant elles et la vie leur appartient !Ils me sourient gentiment. Une étrangère
Depuis dix ans ils en voient quelques uns, quelques unes. Et puis il y a la télévision. Etrangère.
Violemment, profondément, bien plus encore que je nen ai lair
! Je ne suis pas dici, je ne suis pas daujourdhui. Fille imaginaire
dun Vietnam imaginaire, je cherche mon père exilé depuis un
siècle. Mon père ? Quel père ? Le Vietnamien ? Le juif exilé
dEspagne depuis cinq siècles ? De quel exil suis-je la fille ? Etrangère
à moi-même. Chez moi partout. Je sais que je nai aucune
chance de trouver ce que je nai jamais eu, ce que je nai jamais perdu.
Que ce voyage, comme ceux qui lont précédé, me possédera.
Je mangerai avec des baguettes comme jai mangé avec mes doigts. Je
serai « une vraie vietnamienne », comme jai été
« une vraie malienne », cest à dire une fausse, et pourtant
Derrière la vitre de mon étrangeté je regarde. A
quatre sur la Honda, deux enfants entremêlés à deux adultes
comme nous étions, mon frère et moi, entre Khoa et ma mère,
à Paris, au temps où on roulait sans casque, sans permis, sans grand
danger comme ici aujourdhui. Chargés de fenêtres,
de tuyaux, de cartons, de matelas
surchargés, vélos, mobylettes,
vespas filent et se faufilent. Derrière le dos du chauffeur, lenfant
continue à lire un illustré en noir et blanc. Jeunes et vieux,
hommes et femmes, coiffés de casquettes ou dautres chapeaux, masqués
dun foulard ou dun morceau de tissu, en ao dai, en chemisette, en
sandales à haut talon, en fins escarpins pointus, en jean, en jupe, en
pantalons larges, en shorts, à deux, trois, quatre sur deux roues, dans
tous les sens, les habitants dHo Chi Minh circulent ! Le
delta du Mékong Can Tho
Malgré laccueil généreux de madame Binh, je
ne veux pas passer tout mon séjour à Ho Chi Minh. Pas si simple.
Il y a les agences de tourisme qui organisent des circuits ici et là, mais
voilà, je ne veux pas de circuits organisés ! Il y a aussi
des compagnies de transport privé qui assurent à des coûts
très inférieurs une liaison régulière entre Ho Chi
Minh et Can Tho par exemple, dans le delta du Mékong (Phuon Ving : 83 50
304, ou 83 05 733 ou 83 05 438). Les trouver, les appeler, réserver
sa place pour le lendemain
Avec laide de madame Binh, madame An, et
aussi celle dun nouveau personnage : monsieur Loc ; étudiant en anglais
à luniversité de Can Tho, jéchappe donc aux circuits
organisés. Et jarrive après 4 heures de route dans un
confortable minibus conditionné à la grand poste de Can Tho où
mattend monsieur Loc. monsieur
Loc devant son université Mon amie Claire a rencontré
monsieur Loc il y a deux ans à loccasion dun voyage familial
au Vietnam. Nous sommes rentrés en correspondance mail avant mon départ,
et ce rendez-vous est donc la réalisation de nos échanges virtuels. Nous
passons à lhôtel poser mon sac, un hôtel dont jai
trouvé ladresse dans le guide et où il memmène,
confus de ne pouvoir mhéberger « because you are a female and
I am a male and I live alone », mexplique-t-il. Il est très
fier de ce petit logement proche de luniversité où il vit
seul durant la semaine. Je le remercie beaucoup, et précise que, même
si la correction ne lexigeait pas, je préfèrerais loger à
lhôtel, près du fleuve et du marché, garder et lui laisser
une nécessaire indépendance. Nous visitons son université,
une des plus importantes du Vietnam, mexplique Christophe, enthousiaste
lecteur au département français. Plusieurs bâtiments sont
disséminés dans une sorte de parc aux grands arbres centenaires.
Un peu partout, dans lherbe, sur des bancs, des étudiants et des
étudiantes, solitaires ou en groupe lisent, parlent, travaillent. Cest
une institution internationale où des étudiants du monde entier
viennent développer leurs connaissances en matière dagriculture.
Puis
nous passons sur la promenade qui borde le fleuve
Avec son autorisation, jemporte le sourire de cette femme inconnue,
léclat de sa chemise mauve, le reflet jaune des bateaux sur le fleuve.
Monsieur Loc me présente une femme avec laquelle il minvite
à me mettre daccord pour une promenade en bateau dimanche matin.
Samedi soir a lieu à lUniversité un spectacle musical dont
il est un des organisateurs, et pour lequel il ma pris un billet. Pas question
de ne pas y assister ! Et samedi matin, après ses cours, il memmènera
visiter sa famille. Voilà mon séjour organisé, je le
convaincs de ne pas sinquiéter davantage pour moi et de me laisser
découvrir seule le marché et les bords du Mékong.
Je pousse la promenade jusquà un parc, sorte de parc dattractions
manèges, circuits, jeux divers et colorés où se pressent
familles et enfants dans une nuit sucrée et chaude. Dans les lumières
colorées de fête foraine, les arbres ont des airs dartifice.
Je me perds ensuite dans un quartier résidentiel populaire. Indiscrète
malgré moi, je parcours la rue sur laquelle souvre les intérieurs,
télévision, fauteuils ou hamac, table basse ; autel des ancêtres
le lendemain matin, comme prévu, monsieur Loc vient me chercher
à 9h pour memmener sur lautre rive où vivent ses parents,
qui ma-t-il dit sont fermiers.. Après un long trajet en moto, nous
arrivons chez eux, de lautre coté dun grand pont moderne. Ils
ne sont pas là. Un petit chien, comme en ont beaucoup de Vietnamiens, laccueille
avec enthousiasme. Jai limprudence de le caresser de la plante de
mon pied nu, et me retrouve aussitôt les chevilles dévorer de puces
! heureusement, lessence aromatique que me donne monsieur Loc apaise rapidement
les piqûres. Il memmène me promener dans « les jardins
», sur des chemins de terre étroits que les inondations submergent. Nous
faisons halte sous une cabane, misérable et superbe au milieu de ce paradis
végétal où poussent des bananes, des papayes, des noix de
coco et dautres fruits sans nom dans la langue française. Trois enfants
jouent à pêcher des petits poissons quils donnent à
manger à un coq superbe, le coq séchappe, les enfants le coursent,
le cernent, le saisissent enfin et lenferment sous sa cloche de bambou ajourée
comme on en voit partout. Après avoir partagé à la
maison où les parents ne sont toujours pas revenus une papaye cueillie
sur le chemin, monsieur Loc memmène visiter une petite pagode toute
proche. Les dragons blancs se découpent dans le ciel blanc, fines
dentelles de pierre protectrices. VIET 12 Nous
nous quittons vers midi. Loc doit retourner à luniversité
pour organiser la soirée mexplique-t-il lair sérieux.
Le soir, élégamment vêtu dune chemise blanche,
plus sérieux que jamais, il revient me chercher. Cest lui, qui, avec
deux autres étudiants, assurent la présentation des différentes
séquences. Etudiants et enseignants du département danglais
ont préparé chants, danses et sketches en anglais, avec une joyeuse
générosité. Chaque apparition sur scène est accueillie
avec enthousiasme par le public. Il fait très chaud et mon voisin, un enseignant
dorigine irlandaise, ma offert un éventail, une petite merveille
qui révèle à la lumière la fine découpe de
sa feuille de papier mauve. A la fin du spectacle, Loc, qui doit encore
ranger la salle, me confie à lun de ses amis, monsieur Thai se fait
un plaisir de me ramener. Nous repartons au milieu dun flot de motos. Au-dessus
de ce flot détudiants se balancent les grands arbres anciens. Nous
nous arrêtons sur le bord dune rue pour savourer un chè
(prononcer tiè, en traînant longuement sur le è
). Je
nai pas parlé de cette merveilleuse friandise, découverte
devant un marché avec Kim, vis à vis duquel je suis un peu ingrate,
fâchée davoir été pour lui une touriste, cest-à-dire
d'avoir dû rétribuer à un prix touristique son amitié
et son aide. Le chè est donc une boisson de lait de coco épaissi
de haricots noirs et de tapioca, un délice ! Le jeune homme me raconte
quil est en dernière année danglais, comme monsieur
Loc, et que lun et lautre seront donc « teachers » après
le prochain Têt, en février prochain, donc. Ses parents, comme ceux
de monsieur Loc, sont de pauvres paysans, et pour payer ses études, il
a commencé par vendre des billets de loterie. Maintenant il donne quelques
cours particuliers danglais. Je crois quil bénéficie
aussi dune toute petite aide de létat mais je ne suis pas sûre
davoir compris, mes insuffisances en anglais et son accent naident
pas à la communication ! Bien quil soit très pauvre, monsieur
Thai ne mautorise pas à lui offrir ce chè. Femmes,
enfants, jeunes hommes, mutilés
les vendeurs de billets de loterie
sont légion au Vietnam. Je me souviens des Gueules Cassées qui en
France après la guerre de 14 avaient, je crois, le monopole de la loterie
nationale. Ici, il y a plusieurs types de loterie, ai-je lu dans mon guide, et
les acheteurs sont nombreux aussi. Le billet vaut 2000 dongs (à peu près
0,15 euros) et le vendeur gagne 200 dongs par billet. Monsieur Thai me laisse
devant mon hôtel où monsieur Loc revient me chercher au petit matin
: nous avons rendez-vous avec sa « femme-bateau » qui doit, pour 4$
(60000 dongs) de lheure nous emmener naviguer sur le Mékong et visiter
les célèbres marchés flottants. Jassume mal ma
condition de touriste et la promenade, magnifique, me pèse. Loc apprend
sa leçon de communisme pour le lendemain. Nous partageons une pastèque
achetée dans le marché, mais lhomme et son fils qui mènent
notre bruyante barque à moteur posent leur part sans y toucher. Je nose
demander pourquoi ils ne la mangent pas. Nous avons quitté le large bras
du fleuve pour des canaux plus étroits bordés de coquettes maisons
neuves, et bien sûr de cocotiers et bananiers luxuriants. Lannée
dernière encore, me dit Loc, il ny avait pas lélectricité
sur ces bords du Mékong. Nous nous arrêtons un peu plus loin dans
une charmante halte prévue pour les visiteurs, un café fait dabris
en bambous disséminés dans les jardins, de tables et de hamacs où
Loc se prélasse avec plus de plaisir que moi. Enfin nous rentrons.
Je suis restée trois jours à Can Tho. (Et deux nuits,
pour 4 dollars la nuit, au Restaurant 31 31 Ngo Duc Ke - la fenêtre de la
chambre donne sur un galerie intérieur et la literie a déjà
servi mais le ventilateur et la douche fonctionnent bien et les toilettes sont
propres malgré une légère odeur dégout) Jai
parcouru deux, trois, dix, cent fois me semble-t-il, la jetée qui borde
le Mékong, salué la statue souriante dHo Chi Minh, rejoint
le café dont la terrasse savance dans les eaux roses du fleuve, bordé
par un bruyant chantier qui fait écho aux moteurs bruyants des embarcations,
les bases sans doute dun hôtel de luxe comme celui qui se dresse déjà
derrière. Quand donc ai-je écrit ces lignes venues dune
lassitude profonde, dune sorte dépuisement plus moral que physique
quaccompagnait, je men souviens très bien, une sensation dangoisse,
détouffement ? Chaque voyage, quelle déception ! Cette
humanité accroupie sur le trottoir derrière quelques poissons, quatre
tomates ou une pyramides de pamplemousses. Ces enfants pieds nus tirant des charges
bien trop lourdes pour eux, ces hommes allongés dans la chaleur, sur un
hamac ou sur un lit de branches
Toucher et retoucher la misère comme
une plaie, frotter mon impuissance à leur impuissance, ma pauvre richesse
à leur pauvre pauvreté
Heureusement, je nétais
pas tout à fait seule à remâcher cet absurde sentiment de
déception. Un « vieux mangeur détoiles » me tenait
compagnie sur le balcon de lhôtel où, renonçant au tourisme,
jai passé avec lui un vrai moment de bonheur : Romain Gary et sa
Promesse de lAube. Javais acheté le livre avant de quitter
Ho Chi Minh dans une vieille librairie poussiéreuse dune galerie
ignorée, dans la très élégante rue Pho Dhon Koi, une
co-édition locale Van Hoc-Kailash à 17 000dongs (1 euros 20) ! (on
trouve dans la même collection des « Classiques » Flaubert,
Colette, Proust, Mérimée, Le Clézio
) Lire, mon seul
vrai pays ? Vinh Long
Après Can Tho, jai décidé de marrêter
une journée à Vinh Long, où je serai vraiment livrée
à moi-même. Jy arrive en début daprès midi. Il
fait chaud. Il
y a des casquettes à vendre, des casquettes à acheter à tous
les coins de rue, sur le bord de la route, à chaque pâté de
maisons Je nai rien à faire. Quà regarder
passer sur le Mékong les petites barques à moteur chargés
de gens, de pastèques, de sable, de je ne sais quoi. Quà me
méfier un peu, un tout petit peu, des petites filles de douze ans qui regardent
de trop près mon sac, vendent des billets de loterie et parlent un tout
petit peu anglais. Vieilles femmes, petites filles, mutilés, étudiants
même comme lami de Loc, vendent à tous les coins de rue des
billets de loterie. Peut-être quen les achetant tous, mais vraiment
tous, tous les jours, on réparerait un peu de la pauvreté au Vietnam
? Est-ce que le Vietnam est pauvre ? Sans doute, bien moins que lAfrique
pourtant. Il est riche aussi dune jeunesse sage et légère,
largement alphabétisée. une jeunesse de vingt ans, comme «
louverture », porteuse de tous les espoirs. Je ne sais rien
du Vietnam. Quelques contes lus dans Légendes des Terres Sereines
de Pham Duy Khiem, sur la recommandation de monsieur Hung, qui ma envoyé
chercher ce livre dans la vieille librairie où jai aussi trouvé
Romain Gary. Monsieur Hung est un ancien journaliste à la retraite.
Officier maquisard, il a fait la guerre contre les Français, les Américains
et les Laotiens. Il vit aujourdhui avec une de ses filles dans un délicieux
quartier tranquille dHo Chi Minh. Tous les matins à 6h il fait sa
gymnastique. Une autre de ses filles vit aux Etats-Unis, et la troisième
au Canada je crois
Malgré le paludisme et les problèmes cardiaques
dont il a souffert, malgré les terribles épreuves de la guerre,
cest aujourdhui un homme heureux, en paix avec lui-même, jouissant
dune situation aisée, dune grande maison, de vieux amis et
de la présence de son petit-fils. Un homme élégant, cultivé,
courtois et accueillant. Ou nest-ce quune apparence ? Je ne
sais rien du Vietnam. Ses légendes et ses princesses. Ses
guerres. Ses boat people
Je ne sais rien voir que du déjà
vu. Jai posé mon sac dans un vieil hôtel chic
et je me suis installée à une terrasse de café pour boire
une citronnade glacée. Malgré les conseils des uns et des autres,
je ne me prive pas de glace pilée comme on en vend partout ici, avec le
café (Ka fé dan), le citron... Et suis très fière
de ne souffrir daucun trouble digestif. Reste-t-il quelque
part des traces de lIndochine et des fumeries dopium ? Je nai
rien vu qui le rappelle ou lévoque daucune façon. Une
canette de bière flotte sur les eaux brun-rose. Lair apporte une
odeur de vase légère. Au loin, on aperçoit le pont
le plus moderne du Sud Vietnam, une magnifique collaboration avec lAustralie,
ai-je appris lautre soir à luniversité de Can Tho, léger,
immense, il enjambe, aérien, les eaux troubles du Mékong, ses ailes
aux fines nervures de métal déployées dans le ciel. Des
barques croisent sans arrêt dans un sens ou dans lautre, conduites
parfois par des enfants. Quels beaux jouets ! Je mendors à moitié
en les regardant et en attendant que la terre tourne, que les rayons du soleil
soient moins chauds, que le temps passe. Sans courage pour une visite au musée
ou à la pagode, je décide de traverser le fleuve avec le ferry que
je vois passer toutes les dix minutes, aller et retour vers la rive den
face. Arrivée de lautre côté, je menfonce
par la seule route vers les profondeurs de lîle. Une longue et plaisante
promenade où la solitude mest légèreté. Je
rentre au coucher du soleil. La salle à manger de lhôtel
petit déjeuner compris pour 10 dollars (Cuu Long Hôtel 50
D/15), air conditionné, télévision satellite et terrasse
privée !) donne sur le Mékong.
Dun pays à lautre, je ne vois plus de différences
que dérisoires. Les chapeaux de paille pointus, le pantalon des Vietnamiennes,
le bol de nouilles matinales
rien. Dans chaque pays, il y a plusieurs
pays. De rares ponts les relient les uns aux autres. Pont aérien ou pont
aux singes (Pont aux singes, cau khi : simples passerelles construites
en rondins, généralement munies dune rampe en bambou, elles
relient les villages et les jardins dune rive à lautre, elles
sont condamnées à être remplacées par des ponts en
béton mais jen ai vu des tas pendant ma promenade fluviale : daprès
le guide, il y en a plusieurs milliers à démanteler dans le delta
du Mékong). Les pays des pauvres se ressemblent, ceux des riches
aussi. Largent est un pays, je le traverse : je prends lavion, je
passe devant les boutiques de luxe au prix détaxés dans les aéroports.
Je prends un taxi, un rickshaw, une moto, je cherche les petits hôtels dans
les petites rues. Je pose mon sac. Je marche. Je rencontre les mêmes
hommes, les mêmes femmes, de lAfrique à lAsie, vêtus
dun pagne, dune chemise, dun pantalon de coton déchiré,
dun sari, assis derrière une cuvette de poisson, quelques tomates,
une pyramide de fruits, quelques braises ; Couché sur un lit de branchages,
dans un hamac
Je nai à leur donner quun sourire et pourtant,
jai tout ce quils nont pas. Le ciel est percé
de centaines dantennes de télévision. Le soleil ne sextirpe
pas dune bordure de nuages. Je ne mextirpe pas du bien-être
matinal. Après le « ka fé sua » (suuua, traîner
sur le u prononcé « ou ») lait concentré sucré
Nestlé et café filtre parfumé- mon régal matinal !
je bois lentement le contenu entier de la théière qui accompagne
traditionnellement toute autre commande, au fur et à mesure que la théière
se vide, le thé est de plus en plus doré, de plus en plus amer.
La lune est encore un tout petit nuage rond à lopposé du soleil.
Les grands soubresauts de la guerre semblent apaisés partout sur
ce coin de terre. On vit pour vivre, pour mieux vivre. Assis en tailleur
sur sa barque sans moteur, un homme pêche avec quatre cannes, de simples
gaules de bambou. Passent un cochon dans une barque, une femme, un homme,
quelques dizaines de pastèques. Lhomme a ramassé toutes
ses cannes et il a pris sa rame pour aller voir ailleurs. «
Noublie pas dêtre heureuse » me dit souvent mon fils en
me quittant. Je noublie pas, non je noublie pas, mais parfois je ne
sais plus. « Hello ! » minterpellaient hier soir tous
les enfants que je croisais. « Hello ! ». Ce matin, je suis à
labri de tous les regards. Les autres convives, aucun européen, un
couple ici, quatre hommes-là, ne font pas attention à moi. Je
laisse lactive tranquillité des habitants du fleuve occuper mes yeux
et mon esprit. Je suis heureuse. « Ny va pas »,
me répète maman à chaque départ. La guerre, la maladie,
les vols, les agressions
. Ny va pas ! Et je pars. Le plus
loin possible. Sans savoir pourquoi. Sans connaître rien ou presque des
pays où je vais. Sans rien apprendre sinon à dire « bonjour
» et « merci » (cam on). Chercher quoi ? Je
bois mille sortes de thé en espérant y trouver je ne sais quelle
vérité. Je regarde les pêcheurs jeter leurs filets. Où
sont les miens ? Les mots trop lâches, les phrases trouées ne retiennent
rien du vaste monde dans lequel je les lance. Restent lodeur dun ananas,
dun égout, la forme lourde des papayes, vertes gourdes au cou de
larbre. Rien. Je ne vais pas là où sévit
la guerre, je nécris pas pour les journaux. Je ne visite pas les
orphelinats, les camps de réfugiés, les prisonniers, les villages
brûlés. Et tout en regardant couler le Mékong, je me
demande si la guerre a finalement éclaté en Irak. Ravie
par ma promenade pédestre dans lîle den face que jai
rejoint par le ferry public, jy retourne ce matin avec mon appareil photo,
renonçant à toutes les excursions proposées par Cuu Long
Tourist, et même au marché flottant de Cai Be et autres visites des
canaux et des vergers. Jai eu mon compte hier à Can Tho avec Loc. Seule
sur les petits chemins de lîle, je croise seulement quelques habitants,
à pied, en vélo ou en mobylette. je les salue dun amical «
Xin chao » (prononcer sin tiao en traînant un peu sur le a)
qui les fait sourire et répond à leur « Hello » ou le
précède..
Je quitte la petite île en fin de matinée après avoir
photographié lun des deux jolis lions bleus qui gardent lentrée
dune maison ou dun temple, et bu un ka fé sua en échangeant
sourires et rires avec de jeunes clients, consommateurs ou pas, qui ont regardé
avec curiosité les cartes postales de Paris que mon amie Claire mavait
suggéré demporter, pour permettre justement ce genre déchanges
! Bonne idée, et bon moment !
Le
lion bleu La réceptionniste a téléphoné
pour moi de lhôtel où je repasse prendre une douche avant de
partir. Pour 40 000 dongs la compagnie de transport passera me prendre devant
lhôtel et me ramènera à Ho Chi Minh. le chauffeur profite
de mon incompréhension pour se faire payer directement le billet 10 000
dongs de plus que prévu, et me demander un pourboire supplémentaire.
Arrivée au garage de départ, je lui montre le prix sur le billet
quon me remet et, à mon grand étonnement, il me rembourse
sans discuter le trop perçu, en riant comme dune bonne blague ratée
! Il garde cependant les 10 000 dongs de pourboire ce dont je ne saurai lui tenir
rigueur, dautant plus quarrivée à Ho Chi Monh, il me
dépose au coin de ma rue, dont je lui ai montré ladresse écrite
sur mon cahier. Cette journée ordinaire à Vinh Long
sans guide, sans devoirs, ce retour mont rendu une légèreté
que javais un peu perdu à Can Tho. Je me retrouve, telle que. Ni
Vietnamienne, ni touriste, passante étrange, étrangère.
Noël Ce soir, cest
le 24 décembre. Je suis invitée chez madame Mai pour le réveillon.
Madame Binh ma emmenée au marché où nous avons fait
préparer un énorme bouquet de roses, effeuillées, équeutées,
bordées de papiers de soie coloré artistiquement pliés en
couches multiples autour des roses que je porte avec soin à larrière
de mon « taxi » à deux roues. Il y a beaucoup de cadeaux
au pied larbre de Noël chez madame Mai. Madame Mai est une femme
indépendante, mutine et grave, curieux mélange daristocrate
et de petite fille. Même pieds nus et coiffée dun bonnet rouge
de père Noël, elle garde une élégance presque hautaine
qui mimpressionne. Elle vit avec son père dans une superbe maison
du quartier 10. Une jeune fille tient le ménage, comme chez madame Binh,
comme dans toutes les maisons aisées de la ville. Son oncle vit à
Paris et cest sur sa recommandation que dès mon arrivée, elle
ma invitée à dîner une première fois tandis que
son père, dont je naurais jamais deviné lâge avancé,
ma fait rencontrer un de ses amis, ancien journaliste. Cest une amie
de madame Anh et de madame Binh, et cest grâce à elle, et surtout
à son oncle, que sest créée toute cette chaîne
de relations, dont le premier maillon est mon amie Nadira. Mais ceci est une autre
histoire !! La soirée est gaie, généreuse,
joyeuse. Madame Mai en est lanimatrice discrète et omniprésente.
On se presse courtoisement autour du buffet. On boit un peu de vin italien, de
la bière et des limonades. Madame Mai a distribué les cadeaux à
la loterie. Tous les enfants ont eu des bonbons, des chocolats et des poupées.
On a chanté, on a dansé, on a beaucoup dansé, transpiré,
ri et dansé encore. On a pris beaucoup de photos, en se passant les petits
bonnets rouges bordées de fourrure blanche et en souriant pour lobjectif.
Les anciens nont pas boudé le plaisir de partager la joyeuse agitation
des plus jeunes. On se sépare avec des bouffées damitié. Le
lendemain matin, je descends comme tous les matins boire mon café dans
la rue près de chez moi, mais la petite table de plastique bleu, les chaises
de poupée, les clients habituels ne sont pas là. Cependant la patronne
me prend par le bras et me fait rentrer, déplie pour moi une petite table
et me sert. Elle me montre une crèche et un Christ en croix au-dessus
de lautel des ancêtres. Au moment de payer, elle refuse mon argent.
Ce matin, cest Noël, elle ne travaille pas mais elle ma invitée,
offert le café. Le lendemain, je reviens et lui demande lautorisation
de prendre une photo, cest un des clients qui nous prendra ensemble !
A 9 heures pile, madame An est devant ma porte. Elle est libre aujourdhui
et, non contente de mavoir invitée à déjeuner dans
un restaurant raffiné, luxueux même après ma rencontre avec
ses élèves, elle veut aujourdhui memmener chez son tailleur
pour me faire faire un ao dai pour lequel elle me propose plusieurs tissus. Elle
veut aussi préparer mon départ pour la plage de Mui Ne. La gare
routière où javais prévu de me rendre ce matin ne lui
paraît pas sûre. « Cest dangereux », dit-elle, sans
préciser le danger
Nous allons ensemble dans les cafés de
la rue Pham Ngu Lao où nous trouvons la compagnie Nhut Trinh (tel : 848266)
qui pour 40 000 dongs viendra me chercher demain matin à 11h. Puis
nous allons au Musée des souvenirs de guerre. Photos trop connues,
portraits des reporters disparus, de femmes, denfants
chiffres, nombres
de morts, de dollars dépensés pour tuer, détruire ; reconstitution
des cellules, avec des mannequins effrayants de présence. Le temps recule.
Madame An, petite fille sous un chapeau de paille de riz suit lécole
à Hanoi, dans les tranchées comme celle dont on regarde ensemble
la photo. Le ciel est devenu noir. Le tonnerre gronde. Rentrons vite avant
la pluie. Partageons avec madame Binh un délicieux repas de crevettes et
de crabes. Oublions la guerre. Les deux femmes parlent beaucoup, rient beaucoup.
Que se disent-elles ??? Bien à labri entre elles, muette, je leur
souris. Muy Ne Départ
pour Muy Ne. Jattends le minibus au bord de la route, enfin le voilà.
Nous tournons presque deux heures dans la ville pour ramasser tous les passagers.
La route est bordée de constructions plus ou moins précaires, comme
une banlieue qui nen finit pas. Nous arrivons à Phan Thiet deux
ou trois heures plus tard, après avoir déjeuné tous ensemble,
chauffeur et voyageurs, dans une sorte de restauroute. Jai choisi un
peu au hasard dans le guide lhôtel où je demande au minibus
de me poser.(Nam Duong par chance il fait aussi restaurant 10 dollars,
un ventilateur, une moustiquaire, douche et toilettes) Le jardin avec ses cabanes
et ses hamacs donne sur la plage. Dautres hôtels ont des bungalows
avec des terrasses directement sur la mer, des parasols et des matelas de plage.
Je préfère le mien qui na que ses toits de palme dans le jardin.
La route longe les cocotiers. Dun côté la mer, de lautre
les célèbres dune de sable rose. Les barques des pêcheurs,
les filets et les paniers ronds typiques dans lesquels ils rejoignent leur embarcation.
Je ramasse des coquillages tout au long dune longue promenade les pieds
dans leau tiède de la mer de Chine. A 7h la nuit est tombée,
et bien que des pylônes électriques amènent le courant jusque
là, comme le prouve le néon de ma chambre et ceux de quelques hôtels,
la plupart des maisons qui longent la route ne séclairent que dune
minuscule lampe à pétrole ou à huile qui leur donne des airs
de crèche. Je marche un long moment dans le noir et lodeur de nuoc-mam.
Ici et là, un néon éclaire des étagères où
salignent des bouteilles et des bouteilles. Il semble que ce soit le seul
commerce du village. On devine la dune, semée détoiles jaunes,
clignotantes lueurs de foyesr disséminés sur la pente. La route
est déserte, passe de temps en temps un camion bruyant ou une voiture dont
les phares méblouissent. Au retour je dépasse mon hôtel
sans le voir, métonne de ne plus trouver les cocotiers, revient sur
mes pas
Tôt couchée, tôt levée, en même
temps que les premiers rayons du soleil, en même temps que les pêcheurs.
Je
profite de la fraîcheur, relative, du matin, pour monter sur la dune. Hier,
une petite fille mavait arrêtée dans ma tentative, mais ce
matin, il ny a personne, et je monte, non sans faire quelques pauses, la
pente abrupte qui glisse sous mes pieds. Je passe entre les arbustes et les tombes.
Le sommet recule toujours, il ny a plus la moindre trace de pas humains,
mais de nombreuses pattes doiseaux marquent le sable. Un silence magique.
On nentend plus la mer ni les bruits de la route. A peine un souffle, pas
même, rien. Je redescends dun autre côté, croise
dautres tombes, atterris dans un enclos sableux, devant une maison, je me
faufile entre deux poteaux jusquà la route et rejoins mon hôtel. Jattends
en marchant comme hier tout au long de la mer, que le soleil soit un peu plus
haut dans le ciel pour me baigner entre les barques et les paniers ronds. A midi,
le soleil sera si brûlant que je chercherai lombre, et puis je repartirai
pour Nha Trang avec la seule et unique compagnie de bus du village, un grand bus
plein de touristes. Nha Trang
La route est belle entre Phan Thiet et Nha Trang. Pour la première
fois, on voit les montagnes, la campagne borde la route, les champs, les rizières.
On croise des couples de bufs tirant un antique attelage, des troupeaux
de canard sébattant dans la rizière, on entrevoit même
le derrière nu de deux petits qui pataugent dans une mare ou un marais.
On laisse Dalat à louest : pas le temps daller voir cette ville
semblable ma-t-on dit à une petite ville de province française
au climat tempéré, riche paraît-il dune Tour Eiffel
miniature. La route est belle mais elle est longue et le car ne va pas vite. Quimporte
! On arrive enfin, bien après la nuit tombée. Le car laisse quelques
voyageurs au My Hoa, où pour 6 dollars, on moffre une immense chambre
avec deux grands lits et une armoire à glace tandis que dautres voyageurs
continuent vers des hôtels plus chics. Le marché voisin est
déjà fermé mais je fais un grand tour dans la ville, me perd
abondamment, entre dans une boutique où je passe un bon moment à
consulter mes mails, repars, tourne en rond dans des rues qui se ressemblent avant
de trouver enfin le bord de mer où les couples, les familles tournent le
dos aux grands hôtels et regardent les vagues gonfler, grossir et se briser
les unes derrière les autres, inlassablement. Jai mangé
un pho (soupe de nouilles de riz) à une échoppe sur le bord
de la route, et plus tard, sur un autre trottoir, une mangue pas tout à
fait mûre. Mais surtout jai marché, marché
A
7h le lendemain, je suis dehors. Je prends une leçon de vietnamien au café
où jai commandé mon habituel ka fé sua. La conversation
a démarré avec un client qui parle français, un ancien combattant,
bien sûr, qui donne des cours de vietnamien aux résidents étrangers,
et me fait profiter de sa pédagogie le temps dun café. Il
sétonne que jai choisi un lieu aussi simple et modeste pour
my arrêter. Cest sa sur qui tient cette buvette où,
retraité, il passe beaucoup de temps. Monsieur Ba me fait revoir les tons,
sefforce de me faire entendre les différences entre les trois a,
les trois o mais refuse que je lui offre son café. Au marché,
jachète un hamac, une bague, des bananes suaves, parfumées,
savoureuses
Je prends le train ce soir pour Ho Chi Minh où
je serai demain matin. Laprès midi risque dêtre longue,
dautant plus que je dois rendre la clé de ma chambre à midi.
Je me décide donc à profiter de la plage aménagée
et de la piscine du café Louisiane vanté dans le guide. Je pourrais
laisser mon sac au bord de la piscine et me baigner sans risque, métendre
sur un matelas et regarder les vagues se briser sur le sable.
Mais avant, je me laisse emporter par un cyclo-pousse jusquau Grand
Bouddha qui veille sur la ville
Jai oublié mon maillot de bain à Muy Ne, je suis donc
obligée de me baigner en tee-shirt et petite culotte, ce qui ne choque
personne. Plus tard, installée confortablement sur un matelas à
labri dun parasol de palmes, je relis la préface aux Notes
de Chevet de dame Shônagon, dont jai apprécié les
titres Choses qui paraissent affligeantes, Choses mauvaises, Choses qui ont
une grâce raffinée
mais qui ma résolument ennuyée
avec ces longues descriptions vestimentaires et cérémonielles. Bien
que la plage soit, daprès le guide, « interdite aux marchands
ambulants ce que vous ne tarderez pas à apprécier », il est
passé plusieurs petites vendeuses de bracelets, une vendeuse de crustacées,
plusieurs « étudiants » vendeurs duvre dart
qui proposent sans insistance leur marchandise. Un homme dun certain âge
sapproche de moi et de mon livre en français. Il souhaite, dit-il,
échanger des livres
Soldat, retraité, il parcourt la plage
pour compléter sa retraite insuffisante. Il a appris le français
ici, sur la plage, dit-il, et à la télévision le matin. Je
lui achète, sans marchander une seconde, un livre des Ed. de lAube
(Kim Lefevre. Retour à la saison des pluies) trop heureuse davoir
une lecture fraîche à me mettre sous la dent. Trop charmée
aussi par cet homme si discret qui a choisi de proposer des livres aux touristes
dont pour une fois jaccepte de faire partie. Je le regarde séloigner,
avec son sac à dos plein de livres. Le livre de Kim Lefevre est une photocopie,
lauteur, une traductrice du vietnamien dont jai lu plusieurs traductions
avant de partir, et que je suis heureuse de retrouver cet après-midi, parlant
en son nom propre, de ce pays où elle a vécu ces vingt premières
années. Jai fini mon livre depuis longtemps, et vu
passé cent fois la même bande vidéo avec les chutes spectaculaires
de moto, la chanteuse Céline Dion et les gags de caméra invisible
filmés je ne sais où au Canada ou aux Etats-Unis, quand le train
arrive enfin, avec 3h de retard. Tout à lheure, tandis que
je faisais encore quelques pas dans le noir autour du marché qui était
en train de fermer, une femme ma dit : « Vous avez lair dune
vietnamienne ». Rien de plus impossible et pourtant il y avait un accent
de sincérité dans sa voix. Elle ne me demandait rien. Pourquoi a-t-elle
dit ça ? Sans doute parce que javais envie de lentendre, parce
que je marchais avec assurance dans le noir de ces petites rues à une heure
où aucun touriste ny va plus. Dune certaine façon,
jai atteint le but de mon voyage !! Retour
à Ho Chi Minh Jai pris une couchette
haut de gamme, molletonnée, il ny en a que quatre par compartiments,
on peut donc sasseoir sans baisser la tête. Les quatre couchettes
sont occupées. Ma voisine moffre un peu dessences aromatique
à frotter sur ma poitrine et heureusement ma toux sapaise et je dors
sans déranger personne jusquau matin. A larrivée,
je traite avec les honda-taxis, refuse les premiers et mentend avec un autre
qui me ramène « chez moi ». Je passe prendre les clés
chez madame Binh qui est partie comme tous les matins à cette heure faire
du tennis, je pose mon sac et redescend boire mon café. Il est encore tôt,
je file au Musée des Beaux-Arts, puis au marché où je cherche
quelques derniers cadeaux. Demain soir, je serai dans lavion. Je rentre
déjeuner chez madame Binh. Elle ma cherchée toute la matinée.
Elle maccueille avec gratitude, bien décidée à soccuper
de moi pour ces dernières heures. Cest dans une des pagodes
où Kim mavait emmenée le premier jour que nous retournons
ensemble, la pagode de lEmpereur de Jade où dénormes
tortues deau nagent ou prennent le soleil dans leur bassin verdâtre.
Madame Binh encense toutes les statues de la pagode et fait écrire son
nom à lencre noire sur un papier rouge. Nous déposons aussi
en offrande des pommes emmaillotées dans un filet blanc que les bonzes
mangeront dans quelques jours. Cest une visite de remerciement, mexplique-t-elle,
pour le Bouddha qui la aidé à vendre une maison. Nous
allons ensuite dans un quartier excentré où elle a acheté
un terrain et où elle veut construire une nouvelle maison. Cest un
quartier très calme, résidentiel, sans commerce ou presque. La route
nest pas encore goudronnée, comme dans le quartier où nous
habitons dailleurs, mais de grandes maisons entourées de grands jardins
semblent sy multiplier. Nous rendons visite à la mère dune
de ses amies, qui vit à Paris, et cest avec plaisir que je joue le
rôle de trait dunion, que je le jouerai à mon retour, entre
cette vieille femme et sa fille. Le geste avec lequel elle se masse la main est
le même que celui de ma mère. Les fils invisibles qui nous lient
les uns aux autres vibrent à ce geste. Une énorme averse
nous surprend au retour et nous nous arrêtons dans une boutique de photos.
Jen profite pour faire la dernière, malgré la lumière
insuffisante, et pour donner la pellicule à développer.
Une dernière visite chez le tailleur qui ma coupé un
nouveau pantalon de soie grise. Un premier et dernier tour chez les masseuses.
Une première et dernière glace avec Huyen et un de ses camarades
de classe dans une pâtisserie chic (à ne pas manquer, comme dit le
guide, fruits, glace et crème dans une noix de coco fraîche dont
la pulpe tendre se détache en copeau !) Nous avons raté les marionnettes
aquatiques, mais nous avons fait quelques pas dans le zoo où des éléphants
aux petits yeux vitreux nous ont regardé en agitant leur trompe, des chats
sauvages dormaient sur des branches, superbes et indifférents. Une
nouvelle averse de mousson tardive tombe sur la ville. Mes amies tiennent à
maccompagner jusquà laéroport mais elles doivent
rester de lautre côté des barrières où se presse
une foule semblable à celle de larrivée. Pieds nus dans
mes tongs de caoutchouc, je me retourne sur elles, je pars, je suis partie
31
DECEMBRE 2002
retour au bercail
CHUC MUNG NAM MOI 2003 (MEILLEURS VOEUX 2003)
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