Deux questions de Roger Grenier

 

Comment es-tu devenu(e) “ auteur jeunesse ” ? Est-ce une vocation ? Un hasard ?...

Ma réponse risque d’être un peu banal : comme beaucoup d’autres, j’ai écrit mon premier livre « jeunesse » pour mon fils. Ce gamin obstiné à repousser dédaigneusement tous les livres que je lui proposais m’exaspérait, me désespérait, et en plus il avait l’air de se ficher de moi et je n’étais pas tout à fait sûr qu’il ait tort. Un jour où je l’avais attrapé par le col et secoué pour faire tomber de cet arbuste malingre un fruit de vérité en lui demandant : « Mais qu’est-ce qui t’intéresse ????? » il m’a répondu d’un air provocant – il avait 12 ans – « Moi, y’a qu’un truc qui m’intéresse, c’est les histoires d’amour avec des enfants! » Alors j’ai écrit A cloche-cœur. S’il m’avait répondu le foot j’aurais écrit l’histoire d’un champion de foot, mais bon, il m’a dit l’amour alors, je lui ai offert la fille de mes rêves, ou de ses rêves, je ne sais pas, parce que pour écrire ce livre je me suis mise à sa place, et j’ai compris des tas de choses sur les filles, l’école, les parents, qui nous ont été très utiles par la suite, dans l’évolution de notre relation. Alors, appelleras-tu ça hasard ou nécessité ? C’était un jeu, un défi, un « chiche que… » Chiche que j’écrirai pour toi, pour que tu aies envie de lire, toi… Il doit y en avoir beaucoup comme lui car ce livre a toujours des lecteurs 10 ans après sa publication.

A tes yeux, qu’est-ce qui caractérise un “ texte jeunesse ” ? ( Son écriture ? Ses thèmes ? Son vocabulaire ?... etc. )

L’amour, la rencontre amoureuse, la peur et l’attirance envers l’autre… ne sont pas de thèmes spécifiquement jeunesse, c’est sans doute la façon de les traiter, l’âge des personnages qui fait la différence, quoiqu’un roman jeunesse pourrait (dans l’abstrait) ne pas compter de personnages de l’âge des lecteurs… J’évite en jeunesse les phrases longues dont j’aime pourtant le mouvement sinueux, mais difficile à suivre par des lecteurs qu’une longue pratique n’a pas encore aguerris. Il s’agit aussi de maintenir l’intérêt du lecteur par un certain suspens, une tension narrative, et j’avoue avoir quelque difficulté parfois à me soumettre à cette contrainte. Mais je crois qu’en jeunesse comme en poésie, il faut privilégier une langue directe et joyeuse, efficace, qui ne dissèque ni n’analyse ce dont elle parle, une langue parlée, modulée entre les niveaux familiers et relevés, entre dialogue et narration, une langue riche et vive. Pas question de se réduire à un vocabulaire limité, un livre est une occasion de rencontrer des mots nouveaux, des amis nouveaux, il faut seulement s’arranger pour faire les présentations à l’intérieur même du texte. (J’aime les dictionnaires, mais je n’aime pas les livres qu’il faut lire avec un dictionnaire à la main)

A partir d’une douzaine d’années, un bon lecteur est susceptible de s’intéresser à l’ensemble de la littérature, pour les plus jeunes, les moins expérimentés, le texte se montrera plus aéré, pas trop long, il offrira des repères clairs, aidera l’enfant à mieux connaître le monde sans le mettre devant des problématiques, des responsabilités, des angoisses qui ne sont pas les siennes, mais les nôtres. L’enfance est un monde immense, auquel la peur, la colère et tous les sentiments terribles qui nous dévastent ne sont pas étrangers, les livres peuvent et doivent les aider à les surmonter, par déplacements, identifications et partages. Il faut rendre ces mouvements possibles… mais je me suis éloignée du sujet !

Marie-Florence Ehret automne 2002

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