Pour les sixièmes
d'Emmanuelle Leclerc, année 2004-2005
A 8h du
matin, le boulevard Barbès est à peu près désert.
Ni piétons, ni voitures. A 8h-1/4 plus encore. Ce matin-là,
je me hâtais vers le collège St Vincent où m'attendait une
classe de sixième dont j'avais fait connaissance la veille. Je tournais
à droite dans la rue des Poissonniers quand j'entendis distinctement un
miaulement angoissé. Sous une vespa garée sur le trottoir se tenait
une petite chatte noire, ma chatte que j'avais laissée sur mon lit une
minute plus tôt. Comment avait-elle pu arriver là ? S'était-elle
glissée derrière moi sans que je la voie, dans l'escalier, dans
la cour, dans la rue ? Avait-elle franchi les trois portes
J'appelai : "
Nana
", ma noiraude sortit de sous la roue et avança vers ma
main une tête câline. Incrédule je la caressai, elle était
un peu ronde, plus ronde que ma chatte, et à y bien regarder, ses yeux
étaient plus verts
D'où venait cette petite chatte si confiante
que je l'avais prise pour la mienne et qui appelait au secours ? Je l'invitai
à me montrer d'où elle venait mais elle se contentait de se frotter
contre mes jambes. Un homme arriva avec une boite à chats qu'il offrit
à la petite égarée. - C'est à vous ! " m'exclamai-je
soulagée. L'homme, un éboueur parisien, secoua la tête. -
Pas du tout, je viens de la trouver, vous ne voulez pas la prendre ? - Je ne
peux pas, j'en ai déjà une, et puis là, je dois partir, il
y a une classe qui m'attend ! Deux jeunes garçons, cartables au dos,
passèrent à côté de nous. L'homme les héla : -
Vous ne voulez pas une petite chatte ? Les deux enfants, d'origine africaine
comme presque tous les enfants du quartier, ont secoué la tête à
leur tour. - Si elle reste là, elle va se faire écraser ! répétait
l'homme d'une voix désolée. J'étais bien d'accord avec
lui, mais que faire ? - Vous ne savez pas à qui elle est, a insisté
l'éboueur. - C'est peut-être celle de la boulangerie
ont
dit les enfants. Méprisant la nourriture, la minette continuait à
frotter sa tête contre nos mains en arquant le dos. Des voitures encore
rares passaient sur le boulevard. La boulangerie de la Goutte d'or était
tout près, mais l'éboueur ne la connaissait pas, elle n'était
pas dans son secteur, et puis il devait reprendre le travail. - Ca fait déjà
dix minutes que mon collègue travaille tout seul. Et moi, il ne me restait
que cinq minutes pour arriver au collège de la rue Championnet, à
un petit kilomètre
- C'est juste à côté, vous
verrez, là derrière
J'abandonnai l'homme et la chatte et
remontai vivement la rue des Poissonniers. Je revins deux heures plus tard.
Les boutiques étaient ouvertes, les passants se bousculaient sur le trottoir,
la circulation était fluide mais dense. Plus trace de chat. Je demandai
à la pharmacie, au marchand de vêtements, je remontai jusqu'à
l'épicerie
Personne n'avait remarqué de chats
J'allais
tourner dans la rue de la Goutte d'Or quand je vis mon éboueur. - Vous
aviez raison, me dit-il, c'était le chat de la boulangerie ! Il était
rayonnant, je devais l'être aussi ! Nous nous sommes congratulés
mutuellement de l'heureuse issue de l'histoire. - Ah m'a-t-il dit avec un grand
soupir, y'a quand même un bon dieu là-haut !
Marie-Florence
Ehret décembre 2005
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