Le réveil du Père Noël

13 desserts littéraire pour les minots. Et pourtant! qu'est-ce qu'on s'est régalé.
C'est sorti chez rouge safran et il n'est pas, mais vraiment pas trop tard pour s'en régaler.
Il y a aussi une version pour adultes, chez le même éditeur.
Pour lire les autres (Patrice Favaro, Georges Foveau, Jean-Luc Luciani, Marie Mélisou etc...) commander le livre à votre libraire préféré!! e
Et en prime l'illustration qu'a fait pour cette nouvelle mon webmaster préféré!

 

Il s'est assis sur les marches de l'escalier de la Gare St Charles et il a joué avec ses lacets. Petit Poucet sorti d'on ne sait quelle forêt. Il portait juste un léger blouson coupe-vent pas doublé. A mon avis, ça devait pas suffire pour le mistral. Sans doute que là d'où il venait, on ne connaissait pas le mistral. Il était tout seul, avec ses lacets et son sac à dos. Un sac à dos noir et un coupe-vent noir. Il tournait le dos à la gare. Il n'avait pas l'air d'attendre quelqu'un… C'est à peine s'il a levé le nez quand je suis passé devant lui. Je me suis assis pas très loin. J'étais pas pressé. Il serait toujours temps de descendre boire un coup au Vieux-Port …
Je ne le regardais pas pour ne pas lui faire peur mais toute mon attention était tournée vers ce gamin solitaire. Au bout d'un moment il s'est levé et il a commencé à descendre les marches en sautillant, comme un moineau. Y'avait un de ses lacets qu'était mal rattaché. Il risquait de se casser la gueule, j'avais envie de lui dire mais j'ai pas osé. Je suis descendu derrière lui, il a attendu le feu avant de traverser, pourtant il n'y avait pas de voitures. Je l'ai rejoint au passage clouté et j'ai attendu avec lui. Il ne m'a pas jeté le moindre coup d'œil. J'étais à sa hauteur et on a marché un moment côte à côte. Les gens qu'on croisait devaient penser qu'on était ensemble, peut-être qu'ils croyaient que c'était mon fils vu qu'on avait la peau noire tous les deux… Arrivé à la Canebière il a tourné à droite, il se dirigeait vers le Vieux Port d'un pas tranquille, et puis il a bifurqué vers Belzunce, et moi j'ai continué. J'ai quand même pas que ça à faire, de suivre un môme qu'a même pas l'air perdu…
J'ai grogné tout seul, comme un vieil ours. Je devais avoir à peu près le même âge que lui quand j 'ai débarqué à Marseille trente ans plus tôt, mais je travaillais déjà comme un homme.
Quand je l'ai revu le lendemain, il avait le même coupe-vent trop léger et le même sac à dos noir, mais cette fois, il traînait à bout de bras un petiot encore plus pitchoun que lui et tout aussi noir. Dès qu'il m'a vu le petiot a tendu le doigt vers moi en criant : " Le Père Noël ! " L'autre a jeté un coup d'œil dans ma direction et il a haussé les épaules, mais le petit ne voulait plus marcher, il répétait : " Le Père Noël, le Père Noël ". Je sais pas d'où lui était venu cette idée… Peut-être à cause de mon anorak rouge, un bon anorak avec une capuche entourée de fourrure blanche que j'ai trouvé chez Emmaüs… Son frère - était-ce vraiment son frère ? l'a tiré en avant. Il lui a dit quelque chose que je n'ai pas compris. On n'était pas du même pays tous les deux. Le petit a rétorqué en français : " Et pourquoi il serait pas noir le Père Noël ? ".

Quand Benjamin m'avait parlé du Père Noël , j'avais haussé les épaules moi aussi. C'était bien des histoires de blanc, des bêtises que l'école leur mettait dans la tête, un truc pour faire marcher le commerce…
Je les ai suivis un moment. Le mistral secouait les guirlandes. Le petit avait cessé de protester, il marchait à côté de l'autre sans regarder à droite ni à gauche… Ils ont disparu sous un porche délabré. Au dessus du Vieux-Port des sacs de plastique se prenaient pour des mouettes.
" Tu sais bien que le Père Noël n'existe pas " avais-je répliqué à mon fils d'une voix sévère, et comme Benjamin me regardait d'un air interrogatif, je l'avais envoyé se faire voir du côté de sa mère.
Je ne sais pas pourquoi je n'étais plus si sûr de moi, ni si fier. Pourquoi il serait pas noir le Père Noël ? C'est là que je me suis dit que ce serait vraiment une bonne idée…
Je me suis présenté : " le père de Benjamin ". D'abord la maîtresse m'a regardé avec des yeux ronds. " Vous, vous déguiser en Père Noël ? " Alors j'ai répété les mots du petiot :
" Pourquoi il serait pas noir le Père Noël ? " Elle a bafouillé quelque chose comme " C'est pas ce que je voulais dire… ". C'était exactement ce qu'elle voulait dire, mais elle ne le savait pas exactement avant que je lui dise. Ce sont des choses qui arrivent. Je lui ai souri. J'ai pensé que je le savais encore moins qu'elle avant que le petit ne le dise.
J'ai fait bien des choses dans ma vie, cuisinier, marin, docker… Maintenant je ne fais plus grand chose. Un coup de main à l'un ou à l'autre, par ci par là… mais Père Noël, j'avais jamais fait. J'avais déjà la capuche. Restait plus qu'à trouver un pantalon. Finalement, la maîtresse avait l'air enchantée, elle m'a dit qu'elle allait me trouver le pantalon, que non, c'était pas la peine que je mette une barbe. " Au contraire ! " elle a ajouté. Et j'ai bien compris qu'elle voulait que tout le monde voit bien que le Père Noël était noir. Elle aussi, la petite phrase avait fait déclic dans sa tête !
Je suis passé dans toutes les écoles. A Fontvert, à Capelette, à This. Partout, c'était les mêmes yeux ronds, les mêmes rires… tous ces visages tournés vers le Père Noël - des blancs, des noirs - en fait tout une gamme de bruns, du plus pâle ivoire au plus sombre ébène - tous ces visages n'en faisaient plus qu'un pour moi qui les regardais tous. J'ai retrouvé le petit. J'y croyais pas vraiment et puis de toutes façons, ça n'avait plus d'importance. Puisqu'ils étaient des dizaines, des centaines, comme lui. " Je le savais ! ", il a crié. Je ne l'aurais peut-être pas vu s'il n'avait pas poussé ce cri de triomphe. " Je le savais ! ". Le grand n'était pas là.
Benjamin lui, il ne m'a pas reconnu tout de suite. Mais quand j'ai vu ses lèvres se pincer pour crier " Papa ! " je lui ai fait signe du doigt, il est resté bouche ouverte, un " p " muet a flotté jusqu'à moi. Le soir, je lui ai expliqué : " Tu avais raison, lui ai-je dit… le Père Noël existe. Comment y aurait-il des cadeaux de Noël s'il n'y avait pas de Père Noël ?Le Père Noël existe mais il dort toute l'année dans le cœur de chacun d'entre nous, et le mien ne s'était pas encore réveillé ! "
Il m'a regardé un moment, sans rien dire. Il avait l'air très sérieux. " Et mon Père Noël, a-t-il demandé, quand est-ce qu'il va se réveiller ? "

 

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