et pourquoi ?
Texte de Marie Florence Ehret extrait de l'envie des mots édité par la CBA. Avec Alain Bellet, André Benchetrit, Martine Laffon, Jacques Laurans, Jean-Michel Maultoix, Dominique Sigaud, et des détenus.
Des écrivains vont rencontrer des détenus, les inviter à écrire.
Ils ne viennent pas apprendre à écrire à ceux qui ne savent pas, ils ne viennent pas enseigner la littérature, pas même la littérature contemporaine dont ils seraient des « spécialistes », non, ils viennent proposer aux détenus de partager avec eux, écrivains, une expérience particulière qui est celle décrire, à lintransitif, sans objet déterminant.
Cest le sujet qui compte : jécris, tu écris, il écrit
La personne. La première, la deuxième, et aussi la troisième. Le singulier et le pluriel. Jécris, nous écrivons. Les temps, présent, passé : jai écrit. Les formes : Cest toi qui as écrit ça ?
La grammaire, en somme, innommée et capitale. Cest elle qui dirige lécriture, latelier décriture.
Cest pour retrouver la fraternité que le langage assure aux êtres que nous sommes, petits-fils de cette « grammaire » plus ou moins bien connue, mais inévitable, que des écrivains vont senfermer quelques heures par mois avec dautres « êtres de langage », « animaux parlants », « parlêtres », « enfants de la langue ».
Pour quils nous rassurent, ces enfermés, sur cela qui fonde tout notre travail : labsolue porosité du monde humain à la langue, dans sa matérialité de voix, de mots, de phrases ; la nécessité de cet échange, dans son existence bien plus que dans ce quil véhicule.
Donc je vais, nous allons « sur le terrain », sans savoir très bien qui nous y envoie et pourquoi.
Nous avons nos raisons.
Jai dit les miennes, à peu près. Mais connaît-on jamais vraiment ce à quoi on obéit ?
A Chaumont, la Maison darrêt compte environ 90 détenus. On lappelle le Val Barizien, du nom du quartier où elle se tient.
Jy suis entrée sans men apercevoir.
Bien sûr javais demandé un permis de visite à la direction régionale de ladministration pénitentiaire, bien sûr javais laissé mon sac dans le petit bureau attenant à la prison, jétais passée entre les portes magnétiques et javais enlevé mon bracelet qui les faisait sonner
Javais serré la main des surveillants qui nous avaient ouvert les portes et les grilles, javais monté lescalier qui mène aux galeries et javais remarqué le filet tendu de lune à lautre, comme au cinéma, je métais écartée pour que puisse souvrir la porte de la cellule sur létroite
galerie, jétais entrée dans la cellule-école, deux cellules réunies par la destruction dune cloison, 18m2, 2 fois 9. Les hommes étaient arrivés les uns après les autres. Ils sétaient assis un par un autour des tables de formica bleu.
« Bonjour
Marie-Florence, Bernard, Florent, Mohamed, Guillaume, Gamal
»
Personne ne mavait demandé pourquoi jétais là. Lenseignant, « Prof », comme beaucoup lappelaient, avait assuré le recrutement des volontaires, il avait rencontré chacun personnellement pour lui proposer cette rencontre avec un écrivain. Ils avaient dit oui. Et maintenant ils attendaient, bavardaient entre eux, se lançaient des vannes.
On était entré tout de suite dans le vif du sujet, dans le silence de lécriture, dans lécoute les uns des autres. Je leur avais demandé décrire sur cette fraction de seconde où, se réveillant, on ne sait plus dans quel lit on a dormi, quel âge on a, ni ce que lon tient dans ses bras
« Nous on sait très bien où on est, mont-ils rétorqué, lun parlant, les autres approuvant. Cest le bruit des clés du gardien contre les barreaux qui nous réveille à 7h du matin ! » Voulaient-ils se faire plaindre ? Ils acceptèrent volontiers de ne pas lêtre, et dexplorer, puisque jinsistais, ce quart
de seconde où ils navaient pas encore identifié le bruit de la clé. Et où tous les rêves étaient encore permis.
Puis chacun lut ce quil avait écrit. Le prof, eux, moi, une voix aussi, sur une cassette que javais apportée : « Longtemps je me suis couché de bonne heure
» On écouta. On commenta. « Madame, votre truc, là, on peut le réécouter ? » demanda Gamal.
Javais rencontré lenseignant au cours dun stage de « formation à lusage des formateurs » organisé par lassociation Initiales. Engagée dans la lutte contre lillettrisme, cette association mavait invitée à présenter le travail de lécrivain avec ce quils appellent des « publics en difficulté ». Les participants, professionnels ou bénévoles, sétaient donc retrouvés, comme les détenus ce matin-là, autour dune table, avec un écrivain.
Cette expérience décriture quil venait de faire, Frédéric Vauge eut envie de la partager avec ses élèves. Enseignant depuis dix ans dans la maison darrêt du Val Barizien, il proposait déjà une fois par semaine un atelier décriture quil animait lui-même. Il avait lancé quelques années plus tôt un journal de détention : « le Barizien Libéré ». Sa création avait suscité un véritable enthousiasme, il représentait une liberté gagnée, un espace nouveau mais peu à peu cet enthousiasme sétait usé. Les limites de cette liberté « institutionnelle »
semblaient désormais trop étroites. Ce qui était apparu comme un instrument de lutte, dexpression, est devenu pour ceux qui navaient pas participé à sa création, un instrument de réflexion qui renvoie à ses propres limites Les nouveaux arrivants sy intéressent moins. Il y a plus dun an quil nest pas paru.
Aux six premiers ateliers que nous avions montés ensemble sur deux semaines, et qui sétaient tout naturellement inscrits dans le programme « Lignes de partage » mis en place par la Maison des écrivains, ont succédé des ateliers mensuels inscrits dans le cadre dune « résidence décrivain ». Cette résidence fait partie des actions du contrat Ville-Lecture passé entre le ministère de la Culture et la ville de Chaumont.
Le journal « pas de quartier ! » a été lancé en même temps que la résidence décrivain. Il a pour but de favoriser les partenariats entre les associations de la ville travaillant sur le livre et la lecture.
On y trouve, entre autres articles, des productions dateliers décriture. Celles de la maison dArrêt sy mêlent aux autres. Ce journal du réseau ville-lecture est distribué aux détenus à loccasion des ateliers. Certains laissent leur adresse en quittant les lieux afin de le recevoir. Ceux qui sont libérables et qui ont une adresse. Ce nest pas la majorité : la plupart partent pour un autre centre de détention et ignorent quel sera leur numéro de cellule, cest-à-dire leur adresse, dautres sortent mais ignorent où ils logeront
Ce journal est-il le leur ? Est-ce le journal des associations ou celui de la ville qui le finance ? La question se pose. Et puis il faut soumettre les textes à la direction départementale. Rico refuse. Il préfère renoncer à la publication. « Jécris pour vous, pour moi, dit-il ». Il est le premier étonné du plaisir quil y prend. Dautres restent imperméables, absolument. Ils ont saisi une occasion de sortir de cellule. En général, ils ne reviennent pas. Certains se précipitent sur linitiale de leur prénom quand sort « pas de quartier ! », ou plutôt quand il entre avec moi en prison. Se reconnaissent avec bonheur : « Cest moi
! » disent-ils. Dautres encore relisent en silence, concentrés, sérieux
Depuis des années, toute action culturelle à la maison darrêt de Chaumont repose entièrement sur lenseignant. Le directeur de létablissement lui fait totalement confiance. « Je laisse venir les projets », dit-il, « jestime quà partir du moment où quelquun est responsable, quil discute régulièrement avec moi
» Il a gardé un très mauvais souvenir des années 70. « Mais aujourdhui on ne peut plus avoir le même regard » ajoute-t-il. « Monsieur Vauge a beaucoup didées. Il en parle
du moment que lintervenant respecte strictement les règles de la maison
»
Cest monsieur Vauge aussi qui jusquà présent assurait seul la communication entre le service de prêt de la médiathèque et les détenus. Lui qui allait chercher les livres, les disques que les détenus souhaitaient emprunter. Un Chargé dInsertion et de Probation (CIP) assure cette tâche avec lui depuis quune convention daccord en faveur du développement de la lecture à la Maison darrêt de Chaumont a été signée entre la ville, le chef détablissement, le DSPIP et le président de lassociation socioculturelle et sportive. Dans le cadre de cette convention, la Ville, par lintermédiaire du personnel de la médiathèque,
sengage à assurer un rôle de conseiller technique auprès de la Maison darrêt, tandis que la maison dArrêt elle sengage à faciliter, aider et prendre en charge la mise en place dactions culturelles.
Cest Patricia Lambre, bibliothécaire, qui assure cette assistance technique avec laide de Céline Aubertin, emploi-jeune à la médiathèque, à raison dune demi-journée par mois, tandis que lenseignant forme le détenu-bibliothécaire à lutilisation du logiciel.
Patricia Lambre a proposé une animation intitulée « Lheure du conte » « afin doffrir aux détenus qui le souhaiteraient une heure « de plaisir, de distraction de détente ». « Si tu ne viens pas à la montagne, la montagne viendra à toi », dit-elle, considérant quil est « dommage de priver les adultes dun tel patrimoine, riche de réflexions et denseignements ».
« Je suis bibliothécaire donc ambassadrice du livre ».
Mais cest compter sans le poids des institutions qui paralysent et usent les bonnes volontés. Depuis un an, cette « heure du conte » est restée unique. La mise en place dun rendez-vous mensuel régulier durant lequel elle proposerait une heure de lecture, de présentation dun roman, dun genre romanesque, na toujours pas vu le jour.
Aujourdhui, je bute contre ces murs que je navais pas vus en arrivant. Contre mon propre isolement. Il suffit que lenseignant soit en stage pour que je ne puisse plus entrer, quune phrase soit susceptible de déplaire au Syndicat du personnel pour quelle ne puisse être publiée, quun gars soit transféré pour quon ne le revoie plus
Latelier fait en quelque sorte partie de lécole. Lenseignant en est le seul support interne. Lintervention dun écrivain a -t-elle « ouvert » lécole ou y a-t-elle été enfermée ?
Pour Pascal Grisoni, élu à la culture, il y a eu une « révolution culturelle » entre la bibliothèque et la médiathèque, une révolution dont lensemble du personnel na pas toujours pris la mesure. « Les silos (médiathèque, maison du livre et de laffiche, Chaumont) doivent être la tête dun réseau de partenariats, dont la Maison dArrêt fait partie », dit-il. Il rappelle les conditions propres à la prison du Val Barizien : moins dune centaine de détenus, une moyenne de séjour de 60 jours, un enseignant fortement impliqué, en poste depuis 10 ans
« Il sagit de saisir les opportunités !
», dit-il .
Cest ce que nous tentons de faire. A loccasion du Festival de laffiche, nous avons diffusé en 5000 exemplaires des petits carnets semblables à des carnets de loterie où figuraient de courts extraits de textes dont certains avaient été écrits en Maison darrêt. Leur fabrication a relevé de lexploit ! Malte Martin en a assuré la conception entre deux trains. Limprimerie municipale les a tirés entre deux documents officiels. Il ny avait pas de voiture pour aller les chercher à limprimerie, les y rapporter pour le massicotage, personne pour les agrafer
Jai assuré la distribution moi-même, jen ai donné à tous les officiels
venus pour les vernissages, élus locaux et partenaires culturels, étudiants et invités divers. Je les ai distribués aux terrasses des cafés, sur le marché, aux commerçants. Le boulanger en a donné avec le pain. Durant toute la durée du festival, on les trouvait à lentrée de chaque lieu dexposition. Céline sest occupée de renouveler les stocks dans tous les points de diffusion. Jamais on nen a vu un sur le trottoir. Comme je le racontais à mes enfermés, lun deux demanda : « Mais ils vont savoir, dehors, que cest nous qui avons écrit ». Je lui montrai les signatures :
« Je suis jeune avec la vie et la nuit» Florent Maison dArrêt.
« parce quil est éphémère, parce quil faut sans cesse satisfaire des besoins nouveaux, parce que la vie est traversé de malheurs, le vrai bonheur nexiste pas ! Bien manger, avoir un toit sur la tête, voilà tout le bonheur que lon peut espérer ! Mohammed B. Maison darrêt.
Sur dautres pages, dautres prénoms, suivis dautres noms : Initiales, mission locale, Poinfor
« Alors ils vont savoir quon existe ! » sexclama-t-il, ravi. « Et quon fait pas que des conneries », ajouta un autre.
Ce jour-là, nous étions contents.
Chantal Valentin aussi, qui depuis le début soutient la résidence.
Chargée du livre et de la lecture à la DRAC Champagne-Ardenne, elle a beaucoup uvré à la convention qui lie la ville à la Maison darrêt. « Dans une région aussi étendue que celle sur laquelle elle travaille, il est primordial que les collectivités territoriales sengagent, quelles intègrent les prisons à leur programmation culturelle », mexplique-t-elle. Nous nous connaissons depuis longtemps et son propre engagement est bien connu. Un point de vue plus politique mapparaît : « linformatisation des bibliothèques de prison devrait à moyen terme donner à tous les détenus le même accès aux livres quaux
autres citoyens, même à ceux qui, ni ne peuvent pas aller physiquement à la bibliothèque ». Je métonne : Lesquels ? « Ceux qui sont en haute sécurité, punis, ou qui refusent de sortir de leur cellule comme cest parfois le cas. Il sagit de faire entrer la démocratie dans un lieu où les règles de sécurité créent sans cesse des obstacles à la circulation et à la communication. Depuis le début des actions culturelles, on ne touche quune toute petite partie des détenus, toujours les mêmes », a t-elle constaté. « Pour quun plus grand nombre dentre eux puisse bénéficier de loffre
culturelle, ladministration pénitentiaire réfléchit au meilleur moyen de restructurer lemploi du temps des détenus. Il y a énormément de temps perdu dans une prison, les nuits nen finissent pas. Les jours sont occupés par le parloir, linfirmerie, le sport, le travail, de telle sorte que ceux qui nont pas de soutien financier extérieur ne peuvent pas participer aux activités non rémunérées ». Nous parlons longuement des conditions réelles de détention et de lidéal démocratique pour lequel elle se bat. La révolution culturelle qui a touché les bibliothèques selon Pascal Grisoni, élu à la culture
de la ville de Chaumont, passe sans doute par les prisons où les surveillants ont aussi leur révolution culturelle à accomplir !
Je nai rencontré Philippe Lablanche, chargé du livre et de la lecture en Franche-Comté, que par lintermédiaire du téléphone. « Connaissez-vous Bernadette Lefevre ? » ma-t-il dit dès les premiers mots de notre conversation.
Bernadette Lefevre est « chargée de mission pour les publics spécifiques », elle est employée par lAssociation Comtoise de Coopération pour la Lecture, lAudiovisuel et la Documentation (ACCOLAD). Depuis longtemps cette association travaille en partenariat, on pourrait presque dire en complicité, avec la DRAC. Cest donc tout naturellement que Philippe Lablanche sest tournée vers elle pour répondre aux souhaits du Ministère de la culture de susciter des actions culturelles sur le terrain pénitentiaire.
La première étape a consisté à faire un état des lieux. ACCOLAD a donc été missionné par la DRAC pour ce travail préliminaire. Lannée suivante ont été mis en place différentes actions. Bien sûr, la multiplicité des objectifs impose des choix au chargé du livre et de la lecture. « Il faudrait plus de temps, de moyens, dénergie pour tout faire, me dit Philippe Lablanche, mais pour moi, il sagit avant tout damener le livre à ceux qui sont le plus en difficulté dans la société, donc aux détenus. Je crois très fort au livre comme outil de progrès individuel, comme moyen de développement,
dépanouissement de la personne. »
Amener le livre ?
Bernadette Lefevre nenseigne pas, ne surveille pas, ne dirige pas, nanime aucune pratique spécifique, mexplique-t-elle. Elle coordonne, elle accompagne, elle réfléchit avec. Elle parle de méthodologie : on part dun état des lieux, matériel autant quhumain. Qui a besoin de quoi ? De quel lieux, de quel temps, de quelles personnes dispose-t-on pour répondre à ses besoins ?
Deuxième étape de son travail : mettre en place une politique partenariale, faire signer des conventions entre les institutions, les structures culturelles et pénitentiaires
Troisièmement : mettre en uvre des actions de formation et de sensibilisation des personnels de ladministration pénitentiaire, des secteurs culturels et des intervenants potentiels en lien avec la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) et la Direction Régionale des Services Pénitentiaires (DRSP).
Coordonner, dialoguer, proposer, aider, organiser
Un temps spécifique quil est difficile de prendre à Chaumont, en plus du travail de chacun, quand ce nest celui de personne.
Ici, donc, cest celui de Bernadette qui, visiblement, le fait avec passion. Avec les artistes et auteurs engagés, elle réfléchit sur chaque étape du travail, le bien-fondé de corriger les fautes dorthographe, la reprise au papier calque des dessins pour la réalisation dune BD. Deux stagiaires de lEcole Nationale de lAdministration Pénitentiaire (ENAP), futurs Chargés dInsertion et de Probation (CIP) participent à un atelier, on sinterroge sur la meilleure façon de communiquer loffre datelier : il ne sagit pas de diffuser un avis en forme de communiqué officiel, une « note à la population pénale ». Il faut dès
ce stade signifier par un « visuel attractif », comme dit Bernadette, le désir des artistes et auteurs doffrir un moment de plaisir et de création. Cest une petite révolution dans un univers voué à la sécurité et à la surveillance où lesthétique navait jusquà présent pas la moindre place.
« Si tu as un morceau de pain dans chaque main, échanges-en un contre quelques narcisses, car si le pain nourrit ton corps, la beauté nourrira ton âme » dit un proverbe chinois (ou peut-être arabe). Aujourdhui, nous avons le pain. Ca na pas toujours été le cas. Noublions pas la beauté.
Cest Bernadette Lefevre qui assure le lien, en amont et en aval ; entre le travail de terrain et, dun côté la Direction des Services Pénitentiaires dInsertion et de Probation (DSPIP) et les CIP, et de lautre les « acteurs locaux » : bibliothèque, théâtre, lieux dexpositions, presse
Elle multiplie les contacts, à Besançon par exemple, avec la scène nationale, avec lEcole Municipale dArts Plastiques qui assure un enseignement régulier à lintérieur de la prison.
Pour elle, la culture nest pas une simple « activité occupationnelle », ni un napperon de dentelle pour dissimuler la saleté dune table, elle doit permettre une rencontre avec soi-même. Apporter une réponse « en oeuvre » aux questions essentielles de toute existence : « Qui suis-je, où suis-je ? ». Jajouterai que la création permet de se découvrir - invente-t-on le monde ou le découvre-t-on ? Je nentrerai pas plus avant dans la question philosophique du statut du réel, rappelons-nous seulement quelle se pose.
« Ma vie ? Qui ne vaut mieux que sa vie ? » demande le poète Henri Michaux.
Actions « ordinaires » denseignement artistique régulier, événements ponctuels
Cest avec la DRAC et la DRSP quils se préparent, se pensent, se financent. Ce sont les ministères de la justice et de la culture qui la payent, rappelle-t-elle souvent aux détenus.
Bruno Fenayon, Chef dUnité à lAction Socio-Educative (CUASE) est venu jusquà chez moi, à Barbès, pour mexpliquer sa fonction et la conception quil en a. Il joue un rôle dexpert auprès de tous les « CIP des SPIP » dont il est le responsable hiérarchique. Il assure ce rôle sur trois régions : Champagne, Franche-Comté et Bourgogne. Ce qui lui importe avant tout, cest ce quil appelle « le liant ». Il sagit de créer « laccident heureux » qui suscitera un nouveau possible dans le parcours de celui quon appelle dans les documents officiels, PPMJ : Personne Placée sous Main de Justice. Mais cet «
accident » doit être relayé, amené, prolongé pour avoir une chance dêtre conséquent, insiste Bruno Fenayon. La conversation dérive sur nos conceptions réciproques de la liberté. Nous parlons philosophie, littérature, sans souci du temps qui passe. Bruno Fenayon revient sur le sujet : « Il faut que lintervention culturelle proposée soit relayée par un travail avant, et après. Un travail pédagogique par exemple, associant les instituteurs en lien avec les spectacles proposés. ». Il ne sagit pas de confondre culture et animation socio-culturelle. « Il faut donc donner un cadre aux interventions, imbriquer les activités les unes aux
autres, proposer plusieurs modes dapprendre qui se complètent. » Il insiste aussi sur la qualité des offres culturelles. « Il faut donner au SPIP sa vraie dimension, lui rendre la maîtrise de sa politique culturelle ». La conversation se prolonge encore autour dun couscous. « Le rôle des Agences de Coopération est fondamentale, la collaboration avec les DRAC également. »
Bruno Fenayon retourne prendre son train Gare de lest.
Cest dans un café près de cette même gare que jai rencontré Jean-Michel Artigues, DSPIP de lAube et de la Haute-Marne. Sa tâche nest pas facile, mexplique-t-il. Dautant plus quil est a la fois sur lAube et la Haute-Marne. Il sefforce de faire coïncider les objectifs des uns avec les désirs des autres : « On ne peut apporter à un détenu quelque chose auquel il nadhère pas », explique-t-il.
Mais comment adhérer à quelque chose dont on na pas lidée ?
«- Je nai pas entendu par les oreilles, mais jai eu lidée dentendre quelque chose »
répond le premier gardien au second dans la pièce de Bernard Koltès : Roberto Zucco.
« Deuxième gardien. Lidée ? Sans les oreilles ?
Premier gardien. Toi, tu nas jamais didée, cest pour cela que tu nentends jamais rien et que tu ne vois rien.
Deuxième gardien Je nentends rien parce quil ny a rien à entendre et je ne vois rien parce quil ny a rien à voir. Notre présence ici est inutile
»
Les gardiens de Koltès servent à empêcher les évasions, même sils ny parviennent pas toujours.
Les actions culturelles dans les prisons servent à rendre à chaque homme son droit et son pouvoir de se recréer, même si elles ny parviennent pas toujours.
Tout le monde, je crois, sera daccord là-dessus. Mais sur lorganisation, les priorités, les cadres, la distribution des budgets, il est plus difficile de sentendre. Où est la charrue ? Où sont les bufs ? Au bout de ce sillon de mots, je lève le nez vers le ciel où saccumulent les nuages
Semons, semons, et prions que la récolte soit belle !
Marie-Florence Ehret
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