Qu'est-ce écrire ?

 

Cet article a été publié dans un numéro de la revue du GFEN de Toulouse (2003)

Qu'est-ce qu'écrire ?
Avant tout, un geste, quelque chose de physique, la traduction matérielle d'une pensée.
Une expérience : cette pensée préalable n'est pas forcément la même que celle qui renaîtra du produit de ce geste : l'écriture.
En passant par le corps, la main, le corps de la langue, les lettres, les mots, leur grammaire, la pensée s'épaissit, s'affine, se transforme, devient vivante.


Un atelier d'écriture, que ce soit avec des enfants ou des adultes, dans une école, un hôpital, une bibliothèque ou une prison, c'est toujours et avant tout une rencontre dans le lieu de l'écriture. Rencontre avec soi-même, ce je qui est un autre, et avec ces autres qui me donnent existence.
Une expérience, donc, essentielle pour l'écrivain et dont il convient de faire sentir qu'elle n'est inconséquente pour personne, qu'elle ouvre un espace mental réel.

Ecrire, donc, en atelier, c'est être accompagné sur ce chemin de solitude qu'est aussi l'écriture. L'atelier toujours se déroule en deux temps forts, ou peut-être quatre :
Le premier appartient à l'écrivain, à l'animateur, qui va proposer au groupe une consigne, une contrainte, une impulsion, un déclencheur… Cette consigne ne se réduit pas à son énoncé, elle questionne déjà, la nature de l'outil, sonore et sémantique, liste ou définition, poème ou récit, lettre ou souvenir, passé ou présent, première ou troisième personne, ouvert ou clos… Elle questionne peut-être le désir de ceux qui sont venus, volontairement ou pas. Elle n'appelle pas d'autre réponse qu'écrite - l'écrivain peut, en cas extrême d'analphabétisme ou d'illettrisme, servir de secrétaire à celui qui cependant écrit (comme ont été écrites Les Confessions de saint Augustin, par exemple, ou certains livres de Marguerite Duras, sous la dictée).


Le deuxième temps, le premier temps fort, est donc celui de l'écriture dans laquelle chacun s'immerge, fort de la concentration de tous. Sa durée n'est pas fixée à l'avance de façon stricte, et dépend des capacités de concentration du groupe, de la proposition d'écriture aussi, bien sûr.
Le deuxième temps fort suit immédiatement l'écriture : c'est celui de la lecture. C'est alors que le texte prend son sens, ses sens… Il se révèle dans la lumière de l'écoute, première lecture souvent même pour celui qui l'a écrit et qui le découvre dans la nudité de son être propre.
Chaque texte fait donc l'objet d'une écoute attentive. Cette attention, la qualité de silence qui accompagne la lecture, mieux que tout commentaire, peut suffire à donner au texte l'espace de son déploiement. Mais le plus souvent il est bon d'énoncer les commentaires, critiques, appréciations, questions que soulèvent les textes. Et c'est le quatrième, le dernier temps de l'atelier, qui s'enchevêtre au troisième et le prolonge.

Quel rapport le langage entretient-il avec la réalité qu'il évoque, se contente-t-il d'y renvoyer ?
Je crois que non, même si le lecteur fait toujours, fait forcément retour vers cette réalité, qu'il n'a d'ailleurs jamais quittée mais dont il a seulement habité une dimension particulière.
Je crois - et c'est bien d'une sorte de foi qu'il s'agit- que la chose dite n'est pas la même que la chose tue… Je crois que tout écriture crée un objet, plus ou moins chargé de " réalité intérieure ", ordonné selon une vision qu'elle nourrit autant qu'elle en est nourrie. Et que c'est à entrer dans cette vision par la lecture, donc dans cette " réalité intérieure ", que le noyau de solitude dans lequel chacun est enfermé se brise, libérant une charge d'énergie fantastique.

Toute écriture se confronte donc à la résistance d'un réel qui lui est extérieur. Et c'est par le retour qu'enfin elle y fait qu'elle se justifie, ou plutôt, car elle n'a pas besoin de justification, qu'elle existe, simplement, que le geste d'écrire débouche sur une création, cette recréation que le monde attend des hommes, par leurs rêves et leur art.

Il nous reste à conclure avec le poète que : " Nul ne sait ce qu'est écrire ".
Une expérience différente et unique pour chacun. Pas plus que l'amour, l'écriture ne peut se résoudre en un savoir transmissible. Comme l'amour, elle peut, elle ne peut que se partager, par la lecture aussi bien.

Marie-Florence Ehret mars 2003

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