Mais
il faut être sur terre et présent pour assister à
ses propres noces être chez soi dans le sac de sa peau, faire
ses affaires à soi et dire merci au Créateur.
Le
Corbusier, Poème de l'Angle Droit, 1955 Ici
comme ailleurs, il convient d'habiter le sac de sa peau tant bien que mal à
travers les aléas d'une existence qui nous a fait naître dans un
pays riche ou pauvre, en paix ou en guerre, en haut ou en bas de l'échelle
sociale. Ici comme à la Goutte d'Or, on a lutté pour survivre,
on lutte encore, on voudrait que nos enfants vivent mieux que nous, on a le cur
à fleur de peau, et la peau de toutes les couleurs. A quoi ressemble
ce quartier de Zurich - qui, comme le mien, côtoie la gare et regroupe dans
un périmètre restreint des gens venus de 50 à 150 pays différents
?
Langstrasse Longue rue La Langstrasse ouvre une large
ligne droite de la Badener Strasse à la Limmatz Platz Les blouses
neuves des ménagères voisinent avec les dentelles les transparences,
les parures les cuirs et les plastiques coûteux des professionnelles Les
chemises inusables avec les petits hauts à 10 frcs les chaussures
avec les patates douces les hommes avec les femmes que l'été
dénudent toutes Bäcki
Park Parc du boulanger
Petit déjeuner sous les arbres Café
au lait dans un grand verre Une bouchée de gâteau Partagée
avec les moineaux Helvetiaplatz Place Suisse Marché du mardi
matin Presque désert Beaux légumes fleurs et fruits On
en mangerait ! Langstrasse/World
bar
Seins nus, elle porte des deux mains La planète et ses
continents En équilibre sur sa tête Elle tient d'une autre
main un verre avec une paille une mallette de la quatrième, de la cinquième
un rouleau de papier Et de la sixième un paquet de cigarettes Des
bracelets ornent ses bras multiples Sur le sexe un bijou d'où partent
les plis du drapé de son sari Shiva n'aura pas trop de ses six bras Pour
la clientèle du bar Anker
Strasse 118 Rue de l'ancre Nains géants et sveltes bambous Le
Salon de soie fabric frontline Expose ses rouleaux brillants et colorés -
coussins, rideaux ou robes de princesse- Perroquets et perruches Partagent
une cage et mêlent leurs cris Aux piaillements des moineaux, aux
chants des merles aux gazouillis multiples qui peuplent une végétation
tropicale on devine plus qu'on entend une chanson égyptienne noyée
sous le vacarme des oiseaux Labyrinthplatz/Kaserne
ancienne caserne Un cassissier offre ses baies parfumées Que
personne ne cueille A l'entrée du labyrinthe végétal où triomphent
les roses trémières,. du rose pâle au carmin presque noir Des
femmes ont aménagé ce jardin improbable Devant les anciennes
casernes Dans l'enceinte où les Sans logis, chassés du reste
de la ville ont trouvé refuge Ils entretiennent ensemble Son fouillis
ordonnés de plantes, aussi variées que les habitants de la Langstrasse Ils
s'abritent du soleil Sous un auvent de bois L'un prépare du feu L'autre
boit une bière Une chemise sèche Les canettes s'accumulent
sur les tables Elles se sont données rendez-vous ce soir de juin
Pour accompagner Arunga Heiden Dans un " voyage au pays des sons " En
cercle au cur du labyrinthe Elles chantent en tapant des mains Tandis
que de l'autre côté des arbres Les Sans logis boivent en riant
Chacun à sa façon célèbre le cosmos
Roland
Strasse
A peine visibles derrière les rideaux Un éclair
de chair rosée Un soutien gorge blanc Une guépière
noire
Garetas temos vagas Engel Strasse Rue de l'ange Entre
la Kanzlei Strasse et la Wengi Strasse L'Engel Strasse n'est plus une rue
mais un passage Bordé de jardins foisonnants Les roses trémières
qui poussent partout au pied des arbres Se multiplient et croissent à
foison Sur les bancs on pique nique, on lit, on boit, on rêve Les
oiseaux sont chez eux Pour aller faire les courses Je traverse le Bäcki
Park Dit aussi Bäckeranlage Et je prends par l'Engel Strasse. D'un
bout à l'autre Le chemin passe par les oiseaux Zini Strasse/Roland
Strasse Quatre coins, quatre bars, bars, cafés, bistrots, restaus,
club
et tous ceux qui ne sont pas le café du coin ! combien
d'établissements sur 0,6km2 ? Le peintre Il est né il
y a une cinquantaine d'années en Roumanie Parle hongrois et roumain Hébreu
en Israël, italien en passant Et zurichois avec un terrible accent, prétend-il Son
balcon donne sur une terrasse de marbre du côté de la Langstrasse Plus
connu en Amérique qu'en Suisse Il parle anglais bien sûr Et
nous explique en français La série du Chaperon rouge - version
Perrault - sans résurrection ! Et celle de sa tante " Hoka-Néni
" Léda ressemble à une ménagère suisse quand
elle descend l'escalier peint Pour rejoindre un cygne bourgeoisement installé
dans un lit Bien éclairé au fond de la cave Quart
de finale Drapeaux, cris, pétards, klaxons L'Italie a gagné La
rue est en liesse La rue est en joie La rue est italienne Pizzerias Benvenuto,
Cafés italiens, coiffeurs italiens Qui aurait pu en douter ? Kino
Xenix Ecrit En lettres grises sur fond noir Au milieu des branches
en fleurs des tilleuls Que le vent fait danser
Bäcker
Strasse/Rotwand Strasse Rue du boulanger/Rue du mur rouge Cucina
italiana Da Teresa. Il gatto pardo. Mama Leone
Même le
ciel est italien ce matin encore Rolandstrasse 9h du matin,
la rue dort encore seules trois matrones noires parlent haut vêtues
de pantalons courts et d'amples tee-shirts attendant avec leur cabas devant
le Marché Tropical qui est un coiffeur comme son nom ne l'indique pas Langstrasse Spiele
Jeux Games juegos gioci La Kermesse de Schulhaus Hohl Ils sont de
toutes origines Les enfants qui chantent Et rapent en zurichois Sur le
podium de la cour Les sourires éclatent Dans leurs visages comme
des soleils Blancs Helvetia Platz
Un podium sur lequel défilent
les chanteurs Un vaste marché à traverser les yeux fermés pour
les parfums de narghilé, de curry de grillades de cardamome de papaye Un
tour du monde olfactif, Le festival africain ! Square
Kanzlei
Y a-t-il quelque chose qu'on ne trouve pas au marché aux
puces du samedi matin ? Limmat Platz la Limmat est le
grand fleuve de Zurich De l'autre côté De la voie ferrée Elle
continue La Langstrasse Un peu plus chic ? Un peu moins
Et
puis c'est le fleuve, la rivière On se baigne Tramway 8
Ils
sont trois jeunes garçons Au fond du tramway hurlant Portugal a lé,
Portugal a lé Une voyageuse se retourne et les incite au calme Ils
hurlent de plus belle Ils descendent au bord du lac Labyrinthplatz/Kaserne Ils
sont venus d'une université de Luzerne pour palabrer sous les arbres de
la Caserne. Ils forment des groupes de discussion sur les thèmes de
l'eau, des rapports homme-femme, de la religion
Sur un banc, un homme
dort encore malgré le soleil déjà haut. Les cassis noircissent,
intouchés. Langstrasse Eclatante de sensualité Elle
danse se déhanche se déplie se défait S'offre et
se reprend innocente comme une fleur et obscène tout autant Belle
magiquement Le match peut commencer Le Brésil va gagner Schiri
bar Bar de l'arbitre
Le Brésil a perdu Une voix s'élève Une
seule Pour crier bleue Le garçon - il est noir N'est pas lynché
! Rolandstrasse Quatre filles de la rue noires et demi-nues crient
Zizou Zizou Square Kanzlei Bien sûr, on pourrait les
voir ailleurs. De même taille, elle très blonde et blanche dans
sa salopette courte qui offre tant de peau au regard, lui très noir en
débardeur clair. Ils s'étreignent dans le soleil du soir, à
la terrasse du Kino La bière y vaut 4 francs, le vent léger
et le soleil n'ont pas de prix. Neufranken-Gasse Ruelle du nouveau Franconien Que
vendent-elles les vieilles sorcières Derrière leur vitrine Avec
leur balai Et leurs chapeaux pointus nourrissant les cauchemars des enfants
Et
la nostalgie des contes de fée ?
Square Kanzlei Premier dimanche
de juillet Les lesbiennes s'embrassent devant le dancing Les acharnés
de pétanque jouent encore à la lumière des réverbères Filles,
garçons, hommes, femmes savourent l'air tiède de la nuit Les
oiseaux sont couchés Les étoiles clignotent au loin Un vent
léger porte ailleurs le parfum des tilleuls Jours tranquilles
à Langstrasse
Quand tout dort à Zurich Le quartier a les
yeux allumés Les filles tapinent à découvert On peut
aussi venir juste pour boire un verre Acheter quelque chose à manger Ecouter
de la musique Trouver quelqu'un à qui parler Quand les oiseaux commencent
à chanter Les filles ne sont pas encore couchées Au coin de
la Roland Strasse et de la Zini Strasse Elles attendent le dernier client Le
fantôme d'Henry Miller Hante les rues roses et bleues Qui brillent
jusqu'au petit matin. Rolandstrasse
25 Une étoile de métal doré Décoré
de petites roses rococo Brille sur des masques africains des poupées
de porcelaine un buste de Victor Hugo des marmites de cuivre des bougeoirs
un chat de bois un vase une série de verres un cendrier un crucifix ne
manquent que la machine à coudre et le parapluie Langstrasse Quels
vieux enfants Viennent encore devant la vitrine Voir les voies ferrées Et
les trains électriques Avec leur roues et leurs essieux miniatures
? Square Kanzlei
Elle s'appelle Rose-Marie et elle est accompagnée
d'un petit groupe d'enfants. Ils sont à la porte d'un grand bâtiment
auquel je n'ai guère pris garde, au centre du square. C'est une bibliothèque
jeunesse, bien connue des écoles du quartier. Elisabeth y travaille
depuis 10, 12 ans
on ne voit plus le temps passer. Il y a des livres
en espagnol, italien, portugais, français
Des classes de femme
qui apprennent l'allemand y viennent aussi, elles peuvent suivre des cours d'informatique,
revenir avec leurs enfants
Un système compliqué permet
aux enfants de suivre une fois par semaine un enseignement de leur langue et culture
d'origine, par un enseignant de même origine, mais les enfants n'aiment
guère ces maîtres : ils sont souvent trop rigides dans leurs principes,
mal intégrés
On ne progresse pas dans ce domaine pourtant
très important, dit Rose-Marie. Et aussi : Ces enfants, il faut les
aimer
quand on les aime, ils redonnent beaucoup !! Son portable sonne
: c'est un SMS d'une maman. Ici, dit-elle, les relations sont très fortes
avec les familles. Elle me parle aussi d'une association tamoule très
bien structurée, qui assure aux enfants un enseignement complémentaire
à celui de l'éducation nationale. Ces enfants dans l'ensemble réussissent
très bien. Dans le reste du bâtiment, il y a des classes d'enfants
en difficulté scolaire et parfois comportementale et des classes de jeunes
gens en préparation au choix d'un métier. Une cantine t une garderie
pour les tout-petits. Que les enfants ne soient pas dehors et surtout soient bien
encadrés ! insiste Elisabeth. Güterbahnhof gare de marchandises La
mémoire ouvrière a ses archives. N'oublions pas que des milliers
d'ouvriers venus d'Italie Ont construits les maisons les usines les viaducs
de Zurich Les Tschinggen disait-on L'Aussershil a ses révoltes Tous
ensemble car tous les travailleurs sont des émigrés Toutes les
manifestations du 1er mai finissent Helvetia Platz Mal souvent Brauerstrasse
Rue du brasseur Depuis quand regarde-t-elle Passer les trains Debout
sur le toit A côté des maisons tristes Des cheminots La
vache de plâtre blanc ? Langstrasse Elle vacille mal perchée
sur les lourds talons rouge vif à ses pieds comme des boulets d'infamie Elle
offre un ventre blanc dénudé jusqu'aux seins et un visage
hargneux d'enfant malade Ses cheveux blonds balayent sa figure Mal lavée Elle
insulte un passant Qui n'a pas voulu d'elle Mourant de mille morts à
onze heures du matin Dans le vacarme du marteau piqueur Divine Home/Zwingli
Strasse Zwingli Zwingli = Réformateur zurichois 1484-1531 Ganesh,
Shiva, Vishnou Anges et bouddhas Ils sont tous là Collés
les uns aux autres Avec leurs avatars Torses de femme nue Tigres, éléphants
et cerfs Religious geshenk or artikel Bien alignés derrière
la vitrine Une petite ombrelle à pompons Surmonte la lampe extérieure Kurz
Gasse Ruelle courte Librairie italienne Zwingli
Strasse/ Magnus Strasse//Diener Strasse Rue du serviteur /Brauer Strasse Elles
montent, montent Jusqu'au ciel Jusqu'au 3ème étage S'accrochent
en passant au balcon Prolifèrent voluptueuses Chevelures vertes et
parfumées Les glycines Schiri bar Café, brocante,
grands écrans et fauteuils profonds à l'entrée d'un passage
sans nom vaguement campagnard qui tourne sur lui-même Et ramène
à la Langstrasse au coin du cinéma Roland Au fond tel un
prince famélique Un chat rayé gris m'a fait l'honneur de son
royaume Qui pue la pisse De ce côté les fenêtres sont
condamnées Elles aussi Bar el papi C'est là qu'elle
a sa chaise Quand elle veut reposer un peu Ses pauvres pieds serrés Dans
des hauts talons blancs Immaculés comme la jupette Qui va si mal
à ses jambes un peu courtes Langstrasse La
maison du carrossier est bleue Vous ne pouvez pas la rater Elle est dans
un renfoncement Entre le bar Lugano rouge brique Et la boutique de jeux
jaune safran Langstrasse La vitrine du Cabaret Malibu Tient avec
du papier collant Elle tient. Labyrinthplatz Les jardinières
du labyrinthe viennent souvent le jeudi Aérer les allées Depuis
quinze ans ou seize Elles sont cinq ou six à veiller Avec gants et
sécateur Pour que ne règne pas Entre les plantes La loi
du plus fort Dienerstrasse
Quand le jour descend Les passants
marchent nez en l'air Pour voir le palmier orange planté sur le
balcon du 3ème étage et la fille en deux pièces de
lingerie coûteuse qui se cambre à ses côtés Derrière
les fenêtres du rez de chaussée Elles apparaissent aussi à
leurs fidèles Noire en sous-vêtements roses Ou blanche en sous-vêtements
bleu ciel Uetliberg (= la butte de Zurich) Qu'il est petit Notre
quartier Du haut du Uetliberg !
Zurich juillet 2006
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