D'abord, il y a l'émotion, et le point de vue : " Vu
du dehors, c'est insupportable ".
La Grande Maison, c'est la prison, les prisons, celles d'Aquitaine
où l'auteur, " elle " " a été
chargée de faire un état des lieux chiffrés
". Mais que faire de tout ce qui ne rentre pas dans "
le gros rapport " ? Elle en fait un livre qui est bien plus
qu'un recueil d'anecdotes émouvantes. Un livre qui parle
d'elle, la bibliothécaire, la porteuse de livres -et ils
sont lourds, et le règlement interdit aux surveillants de
lui en porter ne serait-ce q'un - et de ceux qu'elle rencontre,
qui lisent ou pas, qui surveillent, qui attendent, qui visitent,
qui rangent les livres.
Un livre lumineux : " Entre chacune des prisons, il y a des
centaines de kilomètres, des milliers mêmes ".
Odeurs et paysages habitent à part entière ce monde
entre les mondes de l'enfermement. Il les pénètre.
Rien de plus intime que ce monde impersonnel où le "
on " prend souvent la place de " elle ". Ou aucune
familiarité jamais ne s'autorise.
L'auteur visiblement se méfie de l'émotion, elle est
d'autant plus vive pour le lecteur. Michèle Sales sait qu'elle
écrit avec des mots, elle les choisit, les pèse/ "
Faire le bruit ", pour se sentir vivre, pour supporter. "
Pas du bruit, " le " bruit.
Elle nous mène ainsi jusqu'à sa table d'écriture
où finit le livre, jusqu'au poids de sa tête dans ses
mains, jusqu'à la forme de son crâne, enfoui encore
dans la chair de la vie mais qu'elle sent sous ses doigts, qu'elle
fait apparaître sous les yeux du lecteur, comme sur un de
ses tableaux de la Renaissance qu'on appelle " des vanités
".
Marie-Florence Ehret avril 2002
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