Son homme, sa moitié, son amour, elle l’a
trouvé, et perdu au début du roman. Noyé
son marin, son mari. Elle n’a plus que ses yeux pour pleurer,
et les deux filles qu’il lui a faites, chair de sa chair
et son gros ventre dont sortira bientôt le troisième.
Alors comme dans toutes les vraies histoires d’amour, elle
n’y croit pas, elle veut voir ce qui reste du corps de son
homme, son ours, son arbre… et elle part à l’autre
bout du monde, là où le bateau s’est fracassé,
avec sa vieille mère, ses deux filles, son grand ventre.
Elle accouche en route, avec la seule aide de sa fille aînée
âgée alors de 11 ans, continue, s’arrête
là où la vieille meurt… juste en face de la
pointe où l’où on a retrouvé les morceaux
du bateau, des corps, qu’on s’efforce d’authentifier…
Il ne manque rien à ce roman, d’amour, de larmes,
de morts, de plaisirs, mais c’est bien plus que cela …
D’abord la langue, chaude, riche, dense, physique, violente,
malmenée, limpide pourtant toujours. La langue et la grammaire.
Le récit glisse sans cesse de la troisième à
la première personne, d’un personnage à l’autre,
le prend, rentre dans son corps, dans sa gorge sans que jamais
le lecteur ne soit perdu… Nous habitons l’âme
d’Alma, la mère, mais aussi celle mystérieuse
et broyée de Kolya, le mari, de Nine la fille aînée
et parfois en passant celle de l’un ou l’autre des
autres protagonistes.
Et puis il y a l’art de l’auteur à frôler
nos attentes, à en jouer non pour les décevoir,
mais pour nous entraîner ailleurs…
Il me semble n’avoir jamais lu un roman si lumineux, gorgé
de force et d’amour, et sachant offrir un véritable
happy end, bien différent pourtant de celui des contes
qui semble aujourd’hui encore le seul que l’on sache
désirer !
MFE automne 2006