Une lumière éternelle sur des riens

 

Ce texte est extrait du catalogue : « A tort et à travers » publié par la bibliothèque municipale de Charleville-Mézières à l’occasion de l’exposition présentée du 14 octobre au 2 décembre 2000

Une lumière éternelle sur des riens

 

A l’abreuvoir communal
Les vaches immobiles
Hument une eau pure

Ce pourrait être un poème de Basho, ce moine du XVIIème siècle qui définissait le haïku en disant : « c’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment ».

C’est une phrase, extraite d’un roman d’André Dhôtel. Lequel ? Qu’importe ! Dans chaque roman le même éblouissement advient.

Quel genre d’éblouissement ? Le plus simple, le plus improbable, le plus instantané. L’absence de tout mystère. Rien à démêler. Une énigme irréductible.

 

Moi, j’aime les vaches
Parce qu’elles sont subtiles
(…)
Pleines de bonté pour les mouches
Elles remâchent le gazon
Pour mieux connaître l’infini
Et regardent passer dans le ciel
Les cow-boys qu’elles ont tués.

écrit-il dans La vie passagère.

 Et c’est bien ce dont il s’agit toujours : remâcher le gazon pour connaître l’infini, et s’amuser d’invraisemblables contes.

La poésie d’André Dhôtel est moins dans ses poèmes que dans cet art du dévoilement qu’il déploie dans chacun de ses romans. Là où, d’abord, la vie paraît « pauvre et monotone », on entend pourtant « le son extraordinaire du piano ». Et c’est pourquoi, malgré la diversité des personnages, des lieux, des événements, ces quarante romans qu’il a publiés, plus peut-être, ou un peu moins, ne font qu’un.

. C’est quand il n’y a « à peu près rien à voir et rien à penser » que l’on saisit le mieux le secret dont, à travers chaque roman, se révèle l’évidence. Avant de voir un miracle, il faut reconnaître d’abord les événements ordinaires. Ceux-là changent sans cesse sans changer jamais. Affaire d’héritage, d’intérêts, de voisinage, ragots, romans… Dhôtel, comme ses personnages, a la conviction que les moindres événements laissent longtemps leurs traces dans la monotonie des campagnes. Ecrire pour lui, c’est suivre ces traces, remonter vers une innocence qui peut être mauvaise ou brutale mais toujours sincère.

Le miracle est permanent. C’est « d’exister en même temps que ce lézard très étrange ». Le bonheur est de « n’avoir de compte à rendre à personne sinon à prier le ciel de nous garder toujours dans son grand étincellement immobile. »

On pourrait parler de « voie négative » à son propos. L’illumination qui ne manque jamais d’advenir attend l’heure du plus grand dénuement. C’est au moment où tout est perdu, où l’on a laissé passer toutes les chances de se rattraper que la misère se retourne et dévoile la splendeur de sa doublure.

« Trois coquelicots au pied d’un mur et une bouteille abandonnée. La désolation, mais une désolation magnifique. »

Ce qui caractérise tous les héros de Dhôtel, c’est « une sérieuse aptitude à la distraction ». Sauvagerie et tendresse habitent simultanément leur cœur. On ne peut pas compter sur ces héros trop distraits, oublieux d’eux-mêmes, perdus dans l’émerveillement d’être au monde, soucieux seulement de suivre les caprices du sort sans s’inquiéter du lendemain. On se méfie d’eux bien qu’on n’ait rien à leur reprocher, rien de terrible, juste cette distraction profonde, ces escapades imprévisibles, cette indifférence radicale à ce qui arriverait demain, ou n’arriverait pas ! A la simple vue d’un champ parsemé de fleurs, ils éprouvent une joie incroyable, incompréhensible, invraisemblable…

« Le ciel étoilé dit que tout se perd dans une paix éternelle et la joie qui en découle est invraisemblable. »

Comment manipuler des êtres aussi fuyants, aussi joyeux ?

C’est toujours le même combat entre le bien et le mal, un combat que le bien gagne par inadvertance, obstination paresseuse, force d’inertie qui vient à bout de toutes les malices, de tous les mensonges, de toutes les tromperies. Une capacité à s’enchanter « du moindre prospectus ou du moindre journal. »

On peut imaginer écrivait Leiris, un temps où la trace de l’homme s’effacera comme une marque sur le sable à la marée montante. C’est plutôt sous un flot de fleurs que serait enterrée l’humanité selon André Dhôtel, Des fleurs sauvages et sans nom comme il en pousse dans les terrains vagues et les chantiers abandonnés. Et il resterait toujours au milieu de l’exubérance des fleurs un bout de métal tordu, une goupille de cartouche, le bouton rouge qui fit tout sauter…

Mystique ?

« On peut songer à un calcul prodigieux qui serait à la fin une absence de calcul ».

Poète. Exactement poète.

Marie-Florence Ehret

 

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