Préface à la publication d'un recueil de textes écrits
par des élèves du collège à Vitry-Le-François
en 1995. Le travail mené depuis plusieurs années par Michelle Grangaud
sur les anagrammes me fascinait. Depuis longtemps je désirais aller voir de ce
côté-là de l'écriture. J'y suis allée cette année avec les élèves du collège Marcel
Allin, et il est passionnant de voir que nous avons pris deux directions très
différentes avec l'une et l'autre classe. Avec les 6èmes de madame Allary,
nous avons cédé à la tentation du récit annoncé par M. Grangaud : «Les
mots, dans l'anagramme, se conduisent comme des personnes, comme des personnages.
Parce qu'ils sont doués, de naissance, d'une indépendance relative (étant nés
libres, et seulement tenus, comme nous, animaux humains, par les lois de l'hérédité
et les figures qui ont procédé à leur procréation) ils entretiennent entre eux,
naturellement, si j'ose dire, des rapports dialectiques, non hiérarchiques.» (Atlantiques
fév. 95) Nous avons donc suivi la pente «naturelle» de ces mots créés de
toutes pièces par les enfants avec les seules lettres de leur prénom. Il y avait
un roi, un royaume, quelques héros et quelques aventures qu'il ne restait plus
qu'à ordonner. Après l'euphorie de cette création quasi spontanée vint le travail
ingrat de choisir, parmi toutes les histoires possibles, celle à laquelle nous
donnerions tous nos soins. Il fut difficile de trancher et je dus souvent prendre
sur moi d'avancer par telle ou telle route au détriment de toutes les autres.
Sans doute avons-nous trahi l'objectif premier de l'anagramme qui est de laver
les mots de leur multitude de sens, pour en atteindre un autre, qui est aussi
un aspect primordial de la littérature : cacher l'auteur dans le récit de telle
sorte que le lecteur ne se lasse pas de le chercher. Les 26 auteurs des Jumeaux
de Jistune sont cachés, corps et biens, dans les caractères imprimés. Et nous
avons, au détour du conte, joué avec les mots, et découvert à l'occasion de quelle
richesse ils nous dotaient. Tournant le dos au conte, nous nous sommes enfoncés,
avec les 6ème de madame Tabita, dans l'obscurité mystérieuse du non-sens. Des
lettres de Michelle Grangaud nous avons fait un long et clair poème que nous lui
avons envoyé. Elle a choisi pour nous un vers, que chaque élève a repris pour
en faire un petit objet sonore. Sur ce chemin de la déconstruction du sens, je
leur ai lu, comme on pose un piège, quelques uns des Petits métiers élaborés
par Tony Duvert. Ainsi préparés ils en ont créé à leur tour une série de qualité
étonnante. Il ne nous restait plus, armé de mauvais esprits comme nous l'étions,
qu'à retourner les contes familiers, et boucler ainsi notre parcours anagrammatique. A
quoi bon écrire ? ai-je finalement demandé aux enfants. Leur réponse est la conclusion
de cette aventure, elle prendrait plusieurs pages encore. Je ne retiendrai que
ces trois mots d'Aurélie et Leila : pour le plaisir. Marie-Florence
Ehret mars 95 |