Métrographies lisboètes

 

Après la Métrographe (Ed. de la Différence) j’ai continué à voler quelques impressions au plus profond du cœur des villes, voici Lisbonne, si vous voulez m’accompagner dans ses souterrains…

(Un extrait de ces Métrographies a été publié dans le n° de juin 2001 de la revue Encres Vagabondes. Qu’elle en soit ici remerciée)

 

Un Fernando Pessoa plus grand que nature pèse de tout son bronze devant la terrasse du café Brasileira.

L’entrée du métro Baixa-Chiado (prononcer : baïtchia kiado) est juste devant.
Des amoureux s’embrassent éperdument, appuyés contre la rambarde.
On descend profondément. Les escalators succèdent aux escalators.
Propreté…

Rossio
Une publicité pour le Bacardi-Limon.
Il est 18h35. Sonnerie. Les portes se ferment. Assis. Debout.
Ma voisine a des chaussures à bouts carrés…

Martin Moniz
… des cheveux blancs bien coiffés.
Sur les murs caracolent des personnages guerriers.
Une voix féminine annonce la station :

Intendente
Un homme assis en face de moi tient une enveloppe de kraft sur laquelle on peut lire le nom d’Arpad Szenès. C’est le mari de Vieira da Silva, et nous sortons du musée où sont exposées quelques unes de leurs œuvres. C’est comme s’il nous avait accompagnés.

Anjos
Ma voisine est descendue. La femme qui la remplace a les pieds nus dans des chaussures découvertes. « Arpad » somnole, appuyé sur son coude.

Arroios
Je descends. Des étincelles brillent sur le quai. Musique d’ambiance. Petits, tout-petits carreaux bleus, bleus et bleus (bleu-gris, bleu-bleu, bleu sombre)
Il y a moins de monde dans la rame suivante.
La cravate d’en face est élégante.

Alameda
La station est plus vivement éclairée. « Ladroes » « calam aulas de mùsica », et aussi « jovem raptada està no Brasil » dit le journal.

Areeiro
de mon voisin.
Publicité. Lumière. Carreaux verts. Journal, journal… Plus personne n’est debout. Plus de voix pour annoncer les stations (qui s’allongent ?) on file.
Le bruit des pneus est le même qu’à Paris.

Roma
Carreaux bleus. Sonnerie. On repart. Un homme en short marchait sur le quai en tenant une bouteille d’eau minérale à la main. Un touriste, assurément.

Alvalade
La cravate descend là. La station n’est que faiblement éclairée. Quelle ville est là-haut dans la lumière du couchant ?
Le gouvernement garantit la sécurité des Portugais au Venezuela (sauf erreur de traduction)
Le métro sort de terre. Palmiers et HLM ? Un dernier étage vert et c’est

Campo Grande
Terminus.
Odeurs de pâtisserie dans l’escalator.
Des marquis et des princesses en carreaux décalés d’azulejos.

Changement.
Sièges de plastique rouge et de moquette bleu-violet.
On rentre sous terre.
Wagons bleu-ciel. Odeurs de neuf, de propre. Les voisins croquent des pop-corn.

Cidade Universitària
Magnifiques azulejos en géométries jaunes et bleus.
La voix féminine est revenue, couverte par le ronflement du métro. Une affiche lumineuse au fond du wagon annonce aussi la station à venir :

Entrecampos
Colonnes. Marbre ? La station est grandiose. N’est-ce pas là que je voulais prendre une correspondance ? Peut-être… pour aller où ? Je ne sais plus !
Le wagon s’est vidé, mes voisins ont changé de place, ils étalent leurs jambes, occupent quatre places à eux deux. Des taureaux

Campo pequeno
caracolent sur les murs. Ils (les jeunes gens) mettent leurs pieds sur les banquettes d’en face, jettent des coups d’œil inquiets sur celle qui écrit. Je descends. Ca va trop vite ! Sous le nom de la station écrit en noir sur jaune, des figures mignonnes, – anges et fées ? toujours sur carreaux de terre cuite. J’attends la rame suivante Et puis ? Rien. Des femmes. Elles portent des sacs de plastique pleins de course. Elles lisent des magazines féminins. Elles sont jeunes, elles sont trois, elles parlent ensemble, debout sur le quai. Elles tirent des valises roulantes. Elles se lèvent quand le métro arrive.

Picoas
Qui a conçu la décoration de cette station ? Belles figures aux traits épais, trop vite passées.

Marquês de Pombal
Grande station
Correspondance
Tapis roulant.
Ecrire debout.

Parque
Je descends.
Pour mieux voir les carreaux bleus sur lesquels des lignes, des continents, des oiseaux ? courent et se perdent. Je ne distingue rien que cette voûte bleue. La station est presque déserte. Qu’y a-t-il au-dessus, un parc ? Où nul n’habite ?
Un peu moins de monde dans cette rame. Ma voisine dort (somnole) des fleurs pleins les bras. La voix annonce :

Sao Sebastiao
La station est très sombre. Je me lève pour regarder les lignes du métro dessinées au-dessus de la porte.

Praça de Espanha
Je reprends la ligne dans l’autre sens.
Envie de retrouver le Tage avant que le soleil ait disparu. La station est triste, mal éclairée.
    19h28
    22 septembre
    jour européen sans voitures.
Ai-je bien compris l’annonce lumineuse ?
Un métro arrive de la gauche. Je me lève, réflexe de Parisienne ! Ici ils viennent de la droite, comme les RER.
Le nom de la station est écrit en bleu sur fond bleu.
La sortie (saida) est toujours sur fond vert.
L’odeur du produit d’entretien parfumé est là, forte.

Sao Sabastiao
1 homme descend.
1 homme et 1 femme montent. Rien à signaler. Voix assourdis.

Parque
je lis : « Boa esperança »

Marquês Pombal
Je pourrais repartir vers Oriente mais je n’ai plus envie. Une femme lit un livre. Je n’ai pas réussi à voir le titre. Il y a des places vides. Deux jeunes filles

Avenida
restent debout. Elles bavardent. Elles sont grandes, plus d’1m70 me semble-t-il.

Restauradores
La station est plus claire, des colonnes l’élargissent. Un bébé s’essaye à prononcer ses premiers sons « Aaa aa a »

Baixa-Chiado
 

19 septembre 2000
Cette fois je monte à

Avenida
Restauradores
Il est 17h

Baixa chiado
Ligne bleue
Ligne verte
La fille a les cheveux rouges, les pieds nus dans des sandales noires. Le garçon…

Rossio
Sur cette ligne les trains paraissent plus anciens, pas de voix ni d’affiches pour annoncer les stations

Martin Moniz
le garçon, c’est un jeune homme, sourit et hoche la tête en écoutant Cheveux rouges. Devant moi un autre garçon, tout jeune –il revient de l’école ? il a les cheveux blonds

Intendente
Je me lève précipitamment, j’ai peur de rater la correspondance

Anjos
Ma place a été prise aussitôt. Ce n’est pas la bonne station. Je reste debout.

Arrios
Dans l’autre sens aussi, on est debout. Un couple s’étreint. Le métro les emporte.

Alameda
Tapis roulant descendant
Ligne rouge
Métro neuf (odeurs, couleurs)
Quelque part sous un cadre un bloc (une strate ?) de pierre semi-précieuse dans les bleu-vert.

Olaias
Ample.
Amples colonnes de métal comme un bateau ample…
On sort de terre, on survole des jardins, un instant, et on est enterré aussitôt. A-t-on rêvé ? Peut-être…

Bela vista
Entrée somptueuse, entrevue puis le quai, avec son marbre, et le long de l’escalier, grandiose, les céramiques de couleurs.

Chelas
Bientôt, à venir, annoncée, Chelas, rouges, les colonnes, bleus, les murs, entaillées de couleurs aux vives arêtes.
Nous filons toujours dans le noir.

Olivais
Bruit de freins, paysages en longues frises, horizontalité.
L’une mange, une autre lit. Et celle-ci, à quoi pense-t-elle, mains jointes sur les genoux, regard de vierge ?

Cabo ruivo
La station est déserte, nue, à peine éclairée.
A quoi pense-t-il le menton appuyé de côté sur le poing gauche ?
A quoi pensent-ils ?

Oriente
Terminus ? Personne ne bouge
Il est 17h28
Tout le monde se lève en même temps..
On sort.
Impression d’aéroport. Les autobus attendent en haut. Je repars dans l’autre sens
A ma droite, une jeune fille lit. : Rita Ferro. Les fils de la mère (Os filhos da mae)
A ma gauche, on parle français.
Des corps façon BD s’enchevêtrent sur un mur. Sur le mur d’en face, la lune et le soleil rivalisent de géométrie.

Cabo ruivo
Ecrit sur fond rouge, pour ligne rouge.
Dia 22
De Setembro
(Olivais un cheval ailé, plus loin un drapeau rouge brandi)
nao precisa
acenar
para o metro
parar

Chelas
Les entailles sont en creux, entrailles colorées que dévoileraient les déchirures d’une peau bleue.

Bela vista
Géométrie des couleurs entrevue. La station est courte : on s’arrête à peine, elle est à peine plus longue que le métro.
Surprise : le soleil est sortie sous les nuages, éblouissant, à peine entrevue avant de rentrer sous terre.

Olaias
Pourquoi cette station est-elle deux fois plus large que les autres ? Affluence ? Pas à l’instant en tout cas !

Alameda
Vêtements, pharmacie, porcelaine, on peut tout acheter à la correspondance.
L’enfant en veste de jean, avec les sacs, les seins, le ventre

Anjos
tient à peine sur les genoux de sa mère, glisse vers le voisin d’en face

Intendente
Il observe, lui aussi, montre du doigt, chante avec la sonnerie de fermeture des portes. Il tient bien serré dans sa main gauche une petite voiture.

Martin Moniz
Terminus du tram 28. J’aurais pu descendre là pour rentrer rua dos remedios… Les freins chantent aigus.

Rossio
La place s’est libérée en face de la mère surchargée. L’enfant s’y est assis. Il pose un baiser sur sa main.

Baixa Chiado
Mère et fils descendent. Mon voisin baille en feuilletant le journal. Je n’ai même pas le temps de voir un titre.

Cais do Sodré
Les grandes pattes bleues du lapin d’Alice court tout au long de la station

En haut, le Tage s’endort dans l’obscurité du soir. Les docks vont entamer leur vie nocturne. On se presse à la gare. Je titube un peu au sortir de cet intimité sans histoire, au grand air de la Ville historique. Trop neuf, le métro lisboète ? Ou n’avais-je pas les yeux pour voir derrière la vue ??

Lisbonne septembre 2000

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