Dictionnaire abrégé mais néanmoins amoureux de Chinguetti
en hommage au Dictionnaire amoureux de l’Inde de Jean-Claude Carrière qui m’a accompagnée ces jours durant, et qui enrichit aujourd’hui la bibliothèque de Mamine.

Venue pour animer un atelier d’écriture qui n’eut pas lieu, je me suis mise à l’écoute du lieu… Partis de Paris, via Marseille, nous avons atterri à l’aéroport d’Atar, capitale de la région d’Adrar, à 85 kms environ de Chinguetti. Entre Atar et Chinguetti, la piste est plutôt bonne, elle se transforme même en route goudronnée, marquée d’une ligne blanche pour traverser l’extraordinaire épine rocheuse qui sépare les deux villes.
Au bout de l’erg, cette longue plaine caillouteuse où poussent quelques buissons et arbustes épineux, au bord des premières dunes, presque invisible apparaît Chinguetti.

Chinguetti… 7ème ville sainte de l’Islam, antique cité caravanière où se réunissaient par centaines les pèlerins en route pour la Mecque, aujourd’hui préfecture de l’Adrar, au nord-est de la Mauritanie.
Quelques maisons de pierres, quelques palmiers. Un village à peine, coupé en deux par un oued à sec. Des murs en ruine, un château d’eau qui fuit. Une oasis en cours d’ensablement… Les yeux ne s’ouvrent que lentement, ou bien c’est le pays - qui est bien autre chose qu’un paysage - qui ne se révèle au bain du regard qu’à son rythme, à son allure, à sa vitesse propre.

Le corps prend la mesure de l’espace dans lequel il baigne désormais. L’oreille s’épanouit dans une épaisseur inhabituelle, l’œil ne peut aller jusqu’au bout de lui-même, la vue se perd avant de se heurter à un obstacle. Sur la peau, l’air a le goût du sable. Les voix viennent de loin, un bêlement, plusieurs. Les chants des coqs au petit matin se répondent…Le temps s’étend dans l’espace pour qu’apparaisse enfin quelque chose. Les pieds s’enfoncent dans le sable, cherchent leur appui. Le pas s’allonge. On commence à voir.
Au creux d’un chemin de sable, la tour superbe de la mosquée. Bien cachée à l’abri des portes aux serrures de bois, dans les bibliothèques familiales, une réserve unique de manuscrits anciens… Et par-dessus tout, le souffle d’une éternité que le temps n’a pas encore pénétré.

 

A

A’ Bbeir

On dit que douze mosquées dressaient leur tour à A’Bbeir, que des centaines, des milliers d’habitants, 30, 300… ? se croisaient dans les rues de la ville… Aujourd’hui il ne reste que quelques murs, qui entourent une cour vide, une pièce ouverte où reposent trois sacs de céréales, et puis du sable, du sable, du sable… un corbeau mort près d’un puits sec. C’est A’Bbeir, l’ancienne ville de Chinguetti, à quelques kilomètres de celle où sont aujourd’hui installés les habitants, ville-fantôme sans âme qui vive, au bord de l’oued sec, en face des palmeraies.

Ahmed Baba Miské

A tout seigneur, tout honneur…Ahmed Baba Miské est le grand initiateur de ces universités du désert, ou universités nomades, qui m’ont conduite aujourd’hui à Chinguetti. Ce dictionnaire lui doit beaucoup, et à la conférence qu’il a prononcée à Nouakchott en novembre 1999 sur la culture bédouine à l’occasion d’un colloque sur le patrimoine culturel mauritanien dont j’ai pu lire et relire le texte.
Le respect qui l’entoure, son aura propre donnent la mesure de ce que Chinguetti peut (re)devenir grâce à lui.

Articologue

Le français est toujours une langue en usage en Mauritanie. Ainsi peut-on lire cette inscription sur le mur de sable d’une boutique : articologue. A côté, le marchand a ajouté « Mahmoud ekrase les prix ».
Spécialiste des articles en tout genre : bracelets, bagues, tabatières, théières, boites à kohol en argent, boites d’ébènes, bouteilles d’encens décorées… notre articologue en grand boubou brodé attend le client, à moitié couché sur sa natte tressée. Il n’est pas mauvais que juste après Ahmed Baba Miské, il ouvre aussi cette suite d’articles !

Atar

Capitale de l’Adrar, on y trouve de tout, et même un cordon de secteur pour mon ordinateur… De l’ancien marché qui entourait le « Point-rond » il ne reste, depuis le passage attendu du roi du Maroc, que les étals des galeries et du marché couvert, des boutiques aussi tout au long de la rue commerçante…Savons, parfums, shampoings, voiles, boubous brodés, sarouals de coton, robes de dessous, bijoux, genoux cailloux, poux… non pas de poux, quelques moustiques, à cause des pluies de la semaine dernière, que les sables des rues n’ont pas encore fini de boire mais rien qui pullule, rien qui pourrisse dans la grande sécheresse saharienne… Epicerie, conserves, quelques légumes, du sorgho, du mil, du riz, de la farine de froment… et puis des guides, des taxis, des auberges… Bienvenue à Atar.
L’aéroport est tout neuf, tout blanc. C’est là qu’atterrissent deux fois par semaine les charters affrétés par Point Afrique. Les 4/4 et les taxis y attendent les voyageurs.
Premier contact avec la Mauritanie (ou Maurétanie : l’un ou l’autre se dit, ou se disent d’après le « vrai » dictionnaire que je vais consulter pour confirmation).
Odeur de chèvres.
Silence.
Voix d’enfants

Auberge

Il s’en ouvre une par jour ou presque depuis l’arrivée des touristes à Atar. Avec ses deux mille habitants, Chinguetti compterait à ce jour environ 25 auberges. Certaines sont d’un abord plus luxueux (je ne les connais pas). D’autres proposent un accueil presque familial. Je recommanderai celles que je connais. Le confort y est rudimentaire mais impeccable. Les sanitaires carrelés ou de terre sont propres, la douche est froide mais l’eau coule. L’Oasis Eden, en tout premier lieu et la Maison du Bien-être. Je ne déconseillerai pas les autres, celle de Salik, par exemple, dans la ville neuve. Le petit garçon (10, 12 ans ?) qui vous la propose rayonne d’intelligence grave et de gentillesse. Il parle étonnamment bien un français qu’il a appris «sur le tas».

 

B

Bâdiya

L’âme bédouine… Peut-on dire la « bédouinité » ?
Le vent efface les traces des caravanes mais il n’efface pas le souvenir du cœur des hommes.
Les Bédouins portent avec eux, en même temps que leur théière leur tente et leurs armes la mémoire des sables, des oueds et des puits, et la mémoire du jour brûlant dans la nuit glaciale.
(Pour en pressentir plus voir Buqâ alalatlâl, Ghna, Gtâ, Hawl, Islam, Khaïma, Koran, M’nîha, Mushà’ara, Munâdhara, Sahwa, Shi’r, Zerg, Zwâya … bref, continuer tranquillement votre lecture…)

Baraka

Non pas la chance comme l’a vulgarisé l’usage chez nous, mais la grâce, une grâce puissante liée à la sainteté, sainteté qui s’acquiert, par le savoir et la pratique du bien.
Avoir la baraka, c’est en quelque sorte avoir l’oreille de Dieu qui n’a pas d’oreille, savoir s’en faire entendre.
Médecin guérisseur, exorciste… qui a la baraka peut beaucoup pour les autres.

Bédouin
Ou nomade ?

La proposition de Georges Bataille de constituer un dictionnaire qui dirait non le sens des mots mais leur usage n’a jamais été suivie, du fait peut-être de la labilité de cet usage. Et pourtant, la valeur – positive ou négative – dont se chargent les mots selon l’usage qui en est fait, plus encore que leur sens peut-être, nourrit la parole échangée. Ainsi un caravanier a-t-il protesté quand un Français l’a appelé « bédouin », il trouvait le terme péjoratif, tandis qu’à Paris, le jeune Baba Miské réinvestissait le terme de « bédouin » pour se laver du malaise qu’il éprouvait à l’égard du mot « nomade », de la charge négative qu’il véhicule dans la mentalité de l’Européen moyen.

Bruits

Un coq, et un autre, et un autre encore. L’universel chant matinal des coqs.
Le bêlement des chèvres.
Les premières voix humaines.
Le choc irrégulier mais obstiné d’un marteau sur la pierre.
Le criaillement d’un corbeau.
Le roucoulement d’une tourterelle…
Chaque bruit peut être identifié, compté… il est unique, il est rare, il est précieux, il est vie.

Buqâ alalatlâl

A côté de la mélancolie des romantiques, de la saudade des Portugais, du blues de Noirs américains, il faut ajouter le Buqâ alalatlâl des Bédouins. Ces pleurs versés sur les traces du campement, ces pleurs qui trouvent leur consolation à s’exprimer, ces regrets de ce qui n’est plus et reste en creux, en manque, en absence dans ce qui est… cette nostalgie, cette douce douleur du retour, c’est l’essence même de la poésie nomade, le parfum de son âme. (revoir Badyâ)
« Ma guérison, ami, d’est de laisser couler mes larmes
Mais doit-on s’affliger d’une trace effacée ? » Imrou’l Qays

 

C

Calligraphie

C’est pour l’écriture et la calligraphie arabe que sont venus les participants au stage. La calligraphie les attire. Le mot-objet s’offre au désir. Il promet l’assurance du geste. Son dessin permet l’oubli du vouloir-dire. Il donne à rêver d’un accord retrouvé entre le mot et le monde, comble le fossé entre présence et absence.

Castes (races)

Il y en a cinq, me dit Ahmed le calligraphe tandis que nous revenons de la ville nouvelle à travers l’oued desséché : la première race, la race supérieure, celles des guerriers, la race noble ! Puis viennent les marabouts, les griots, les forgerons et enfin les esclaves…
Baba Miské nuance cette vision : Il nous parle en effet des guerriers, qui firent alliance avec les lettrés après la défaite de Charr Bobba (la guerre qui vit la défaite des Berbères contres les Arabes au XVIIème siècle) Ils devinrent alors des moines-guerriers, sans armes et grands érudits, donnant à leur noblesse l’étude et la connaissance comme une doublure précieuse.. Les tributaires enfin, constituent la troisième grande partition sociale, payant un tribut aux premiers, en échange de leur protection. Les tributaires (guerriers vaincus, esclaves affranchis (ou haratins) agriculteurs, artisans forment bien sûr la plus importante part de la population.

Chameau

Ou mieux chamelle. A strictement parler, dromadaire, car le chameau mauritanien n’a qu’une bosse. La chamelle donne en plus de sa puissance de transport, son lait et ses chamelons blancs à celui qui sans elle n’est plus rien : l’homme, le bédouin dont elle fait la fierté et la richesse. La lippe boudeuse au bout de son souple cou de cygne elle proteste, mais se laisse charger et décharger cependant, et qui ne protesterait pas avec une ficelle dans le nez ? On la voit, on les voit, évidents et magnifiques, sous un palmier, le long d’une dune. On voit la double trace de leurs sabots dans le sable et l’on sait alors que l’éternité ne sera jamais tout à fait brisée tant qu’il restera un chameau.

Ciel

Le grand absent de nos villes, le grand manquant, repoussé loin des yeux par les immeubles et les tours, comme il nous comble ici, descendant jusqu’en bas de l’horizon, jusqu’à la terre, jusqu’au sable, s’allongeant de toute son immensité de ciel, de tout son amour de ciel pour la terre !
Un avion trace un trait rose dans le ciel teinté par le couchant. Un avion dans l’étendue intouchée du ciel. Là-bas, à l’ouest, très loin, un avion… un seul.

Couscous

Fait de sorgho, d’orge et de blé, le couscous mauritanien est gris, croquant, savoureux. Agité pendant deux heures par la main patiente des femmes, humidifié, palpé, épaissi de farine de blé, il cuit à la vapeur dans une marmite de fortune aux trous grossiers, on le déguste sous la khaïma avec un peu de viande de chameau et une sauce parfumée de quelques légumes.

 

D

Dunes

Elles apparaissent comme un mirage, un vieux rêve enfantin soudainement réalisé, resté irréel encore… une vague décharge borde les premières qui l’ignorent souverainement et poursuivent leur avancée sur les cours, les murs, la ville toute entière qu’elles ne voient pas du haut de leur crête tranchante, fine comme une lame. Creuse d’un côté, arrondi de l’autre, la dune ignore tout ce qui n’est pas sable ou vent. Elle parle sable, elle chante sable, elle écrit, dessine, calligraphie des arabesques de sable. Durci ici, le sable là s’effondre et fait reculer celui qui croyait avancer, le fait redescendre plus bas qu’il n’était monté.
Les dunes se laissent franchir pourtant, et pire vous entraînent vers la suivante dans une avance aveugle qu’on peine à arrêter. Une ivresse calme, une folie tranquille. Rien. Un pas qui en appelle un autre. Mais rien n’avance. C’est toujours la même dune que l’on monte.
Trois silhouettes de chameaux, pas plus grandes qu’un dessin sur un paquet de cigarettes, apparaissent et s’attardent sous vos yeux incrédules.
Le soir tombe. On se retourne on cherche avec un peu d’inquiétude le repère d’un arbre, la trace de ses pas… On apprend à regarder à ses pieds. On reconnaît les pattes du corbeaux, celles de l’unique chien du coin, celles du scarabée… la double empreinte du dromadaire, et la semelle de Philippe qui imprime à l’envers sa marque…
Comme elles sont roses, les dunes, dans la lumière du matin ! Je les regarde de la terrasse. Est-ce qu’elles ont avancé cette nuit ? Faussement immobiles, elles montent à l’assaut des palmiers, je le sais bien.

 

G

Ghna

poésie populaire

Gtâ‘a

Joute poétique, improvisation, émulation, rivalité…

 

H

Hassania

Langue arabe telle qu’elle a été importée par les Bani Hassân vers le XIIème siècle, toujours parlée en Mauritanie. Très proche de l’arabe littéraire.

Hawl

Chanteurs, musiciens, poètes, courtisans tous les Iggâwen se réunissent pour la soirée et c’est un hawl , un concert où se mêlent musique, chant et poésie parlée…

Hospitalité

Ce dictionnaire serait par trop manquant si n’y figurait pas ce mot.
Près du campement bédouin, un feu demeure pour faire signe à celui qui se serait perdu, « l’enfant du désert ». Une part toujours est réservé à celui qu’on n’attend pas dans le plat commun.

 

I

Islam

Un islam fervent, respectueux des interdits et des devoirs, sans alcool ni porc, mais un islam tolérant, respectueux de droit des femmes et de la sagesse des lettrés et des anciens.
« On dirait que vous êtes tous nés en même temps » me dit quelqu’un, homme ou femme ? je ne sais plus. Mettons homme. Il s’explique un peu : « Il n’y pas de hiérarchie chez vous, ni jeunes, ni vieux, tout le monde est à la même place… » Il hoche la tête. Tout le monde ne peut pas tenir à la même place, cela se voit bien dans ses yeux.

 

K

Khaïma

La tente, avec un j comme la jota espagnol. La khaïma est un personnage essentiel de la vie bédouine. Aujourd’hui que les Bédouins sont en grande part sédentarisés, ils l’ont installée dans la cour de leur maison, et c’est là, sous la khaïma, qu’ils mangent, qu’ils boivent le thé, qu’ils dorment souvent, qu’ils vivent encore. Faite de grands pans de tissus cousus ensemble, tendue autour d’un ou deux mâts de bois, elle abrite sans étouffer, elle protège sans opprimer. On y installe les tapis de fibres colorés, les petits matelas de mousse, quelques coussins et la voilà meublée.
Assise en tailleur sous la khaïma de l’auberge du Bien-être, j’écoute Ghaleb nous parler des premiers siècles musulmans. L’ombre des oiseaux traverse la toile. L’ombre des arbres s’y balance.

Koran
Ou Coran

Il joue un rôle fondamental dans la construction de toute personne. Dès la naissance, l’enfant est accueilli par les versets coraniques. Le nom qu’il porte est celui du prophète s’il est l’aîné des garçons, d’un de ses proches, femme, cousin, disciple s’il vient après, ou s’il est fille…Les récits de la vie du prophète nourrissent sa petite enfance. Il apprend à lire et à écrire dans le Koran. Il en apprend par cœur au moins les versets de la prière, au mieux, l’intégralité. Il peut aussi les calligraphier et s’initier ainsi à une vision plastique non figurative.

 

L


Liberté par la chamelle

Ce n’est pas un gag, mais une association, qui fonctionne bien, et selon un principe pas bête du tout : elle confie une chamelle à une famille de nomades en difficulté. Ils en ont la jouissance et la garde. La chamelle ne peut en principe ni être vendue, ni être mangée… Le lait, les petits appartiennent à ceux qui en ont la garde, quand un petit cheptel sera reconstitué ( 2 ans, 5ans…) la chamelle ira voir ailleurs si le sable est aussi chaud… De plus, la chamelle ainsi confiée, est suivie par l’association, et avec elle, la famille à qui elle a été remise. C’est l’occasion de venir avec dentistes et ophtalmos apporter quelques soins à ceux qui sont déjà des amis…
Cette pratique existait autrefois nous dit Ahmed Baba Miské, entre les membres aisés d’une tribu, et ceux plus démunis auxquels une ou plusieurs bêtes étaient ainsi confiées, et rarement reprises. C’était la M’nîha.

 

M

Manuscrits

Il y a plusieurs « bibliothèques » à Chinguetti. Elles sont conservées avec les moyens du bord par les familles qui les ont héritées. On y trouve des manuscrits très anciens, datant des Xème et XIème siècles. Certains ont été restaurés presque aussi anciennement. D’autres sont mangés en leur cœur par les termites, jusqu’à leur couverture de chameau. Elles constituent un trésor privatif que le sable, le temps, les insectes et la manipulation continuent de détruire…
La plupart sont des copies ou des commentaires du Coran mais on peut trouver aussi des ouvrages de poésie, de médecine, ou des rapports juridiques qui témoignent de la vie d’une époque proche et lointaine à la fois.

Marché

Dans la nouvelle ville, de l’autre côté de l’oued, le « marché », boutiques et tentes. Oignons et tomates cerises. Epicerie. Voiles et sheish. Robe de dessous, petit artisanat, le même partout : ébène et argent, bracelets, bagues et colliers, boites, étuis à tabac et porte-clés de cuir coloré…
A l’orée des maisons, le grand souffle des sables comme l’haleine parfumé du monde éternel
« Chaque individu est un marchand en puissance. Chaque achat l’occasion d’une longue discussion, marchandage et palabre, même pas besoin d’acheter, à peine besoin de mots, pour boire le thé, s’asseoir avec… » disent mes compagnons.

Mahadhra

Ecole. Ecole coranique, école nomade, des premières classes aux classes supérieures. La grande ambition d’Ahmed Baba Miské : relancer une mahadhra à Chinguetti, la doter d’un enseignement traditionnel « sans s’interdire de l’améliorer, de la faire profiter d’un certain nombre de techniques et méthodes nouvelles »

Mushà’ara

Echange de sentiments, d‘émotions d’expression poétique.

M’nîha

Prêt plus ou moins définitif d’une ou plusieurs chamelles consenti par une branche aisée de la tribu au bénéfice d’une famille plus démunie.

Mouches.

Elles sont les premières à accueillir les arrivants. Elles se posent par dizaines sur leur dos et leurs épaules. Plus tard, quand on aura tombé la veste, dénudé les bras, les pieds, on goûtera le chatouillement de leurs pattes minuscules sur la peau, d’un geste nerveux ou nonchalant, presque inconscient, on les écartera du visage, du coin des yeux, du bord des lèvres, des narines où elles cherchent à boire…

Mu’allaqât

A la grande foire d’Ukaz, à l’époque où l’Europe était au Moyen-Âge, des poètes étaient distingués chaque année au terme de joutes oratoires et poétiques qui occupaient somptueusement les soirées. Leurs poèmes étaient suspendus à la ka’aba, consacrés par cet accrochage aux murs de l’enceinte sacrée. Sept d’entre eux, ou peut-être dix, furent conservés, retenus comme tels.
Ce sont eux, les « Mu ‘allaqât », les« poèmes suspendus », les joyaux de la poésie arabe, les « Pendentifs ».

Munâdhara

Contre-verse, discussion argumentée sur des sujets philosophiques, politiques, religieux etc…

Medha

Litanies populaires à la gloire du prophète…
Ce soir-là, des bidons de plastique ou de métal servaient de t’bal (de percussion), quelques cordes tendues sur n’importe quoi firent guitare, un vieux poste de radio trafiqué en guise d’ampli, et les mains à claquer les unes contres les autres, c’en fut assez pour faire lever l’esprit de la Medha.
Autour de la khaïma, la grande nuit des dunes frémissait dans l’éclat froid de la lune. A l’intérieur, un éclat brûlant traversa le danseur efféminé par l’accès dansant qui l’enfièvrait, le faisait sauter, tournoyer, onduler dans son grand boubou devenu ailes et voile et cape de toréro au miroir de la mort. Bel oiseau mâle en grand ballet de séduction.

 

P

Pleurs

On pleure beaucoup dans la poésie bédouine, on pleure sans honte, virilement :
« Arrêtons-nous et pleurons au souvenir de l’aimée. » Imrou’l Qays (voir Buqâ alalatlâl)

 

S

Sable

Il est partout mais on ne le sent à peine tant il est fin et doux. Sous les pieds, sur la peau, sur les joues. Entre les doigts, coulant, collant, insinuant, caressant. Ferme et froid ici, il effondre là, glisse, se dérobe. Le pied s’enfonce, jusqu’à la cheville, jusqu’au mollet…
Il obéit à une physique impeccable qui dessine des lignes courbes, des demi-lunes à la crête tranchante, un camaïeu d’or, du blanc à l’ocre rose, monté en vagues, en cernes.
Le sable chante une note aérienne que le vent plaque aux oreilles, aux chevilles. Musique sensible que l’œil poursuit vers un lointain jamais atteint.
Poudre de perlimpinpin collé au visage par une fée voilée de vent.

Sahwa

Pudeur, retenue, réserve, respect… Dieu sait pourquoi (Allah a’lem) on ne doit pas fumer devant un aîné, chanter devant lui ou raconter des histoires frivoles, ni écouter des chansons, tenir des propos grivois, ou simplement parler trop fort. Ni serrer la main des femmes quand on est un homme, ou tendre la main à un homme quand on est une femme. Et cent autres règles fines comme un cheveu, subtiles, presque invisibles qui tissent leur voile autour du corps, le vêtent de délicatesse.
Que ces règles évoluent, se transforment, on ne saurait s’y opposer, mais on pourrait regretter que disparaissent totalement ce qu’on pourrait aussi appeler politesse, ou civilité.

Shi’r

Poésie savante, pendant du ghna, plus populaire

Sig

Au singulier : siga.
Un jeu composé de huit bâtonnets d’environ quinze centimètres de long, pyrogravés sur une face de motifs géométriques variés. On les trouve dans toute les boutiques, sur toutes les nattes, tous les tissus de tous les vendeurs de Chinguetti. Les femmes les font tourner dans la main d’un geste vif sans en répandre un seul, on les jette ensuite pour compter les faces nues… Hélas, je n’en ai pas compris davantage, sinon qu’on compte les avancées de chacun sur le sable en y plantant une branchette de la taille d’une allumette, ou en déplaçant une petite crotte de chameau ou de chèvre bien sèche, au besoin une dune miniature est installée tout exprès dans la boutique à cet usage !

 

T

Technicien de catastrophe

C’est la formation que poursuit le jeune homme qui passe cette soirée avec nous sous la khaïma Une nouvelle formation dans les métiers humanitaires. Pour l’instant, il est là, près de Chinguetti, dans une oasis désertée où quinze familles ne viennent plus qu’à la saison des dattes, il tente de les convaincre de revenir, de ne pas laisser mourir la cité de leurs ancêtres, mais je ne sais de quels arguments il dispose.
L’année dernière il était en Bosnie d’où viennent les terribles histoires qui continuent à le hanter jusqu’ici.

Temps

L’aéroport blanc éblouit l’œil, arrondit des arcs, des coupoles. Le ciel verse sur lui sa luminosité à ras bord. On attend on ne sait quoi, quelqu’un peut-être, ou que quelque chose soit prêt, on ne sait pas. On attend.
Dès l’arrivée, le ton est donné.
En Europe, dit-on, vous avez l’heure, en Afrique, nous avons le temps…

T

Le premier est amer comme la vie
le deuxième doux (sucré) comme l’amour
Le troisième léger (suave) comme la mort
En vérité, chacun est délectable et vivifiant. Trois gorgées minuscules de chaleur et de force qui laissent dans le palais le goût de l’essentiel.

Tribu

La tribu est presque un état dans l’état. Elle joue un rôle capital, détermine les alliances, et les haines. La solidarité tribale va très loin, pour le meilleur et pour le pire. Si la tribu est grande, elle se constitue en fractions, les fractions se divisent en clans, les clans comptent plusieurs familles formées d’individus…

Z

Zerg

Encore un genre poétique : la culture bédouine en abonde !

Zouglia

Juste la monnaie du pays…mais ne comptez pas sur moi pour vous donner le cours du change, ni celui du bracelet d’ébène. A vous de voir…

Zwâya ou zouaïas

Lettrés (on dit aussi, mais gare à l’usage qu’on en fait, marabouts, sages, savants).
Barik Allah (digne ancêtre de Baba Miské, bienvenue pour clore ce très rudimentaire dictionnaire) fut un grand zwâya dont on a conservé le souvenir. Objecteur de conscience avant la lettre, il refusa de se battre contre les tribus arabes à l ‘époque de la Charr Bobba. Arrêté, puis libéré, il s’exila vers le nord, accompagné par de nombreux disciples. Grand érudit, il revint du pèlerinage à la Mecque avec un véritable trésor livresque. Il devint le protecteur respecté de toutes les victimes de guerre qui venaient se réfugier auprès de lui. Il régnait sur un territoire d’environ 100kms de rayon autour d’Atar, il fit alliance avec des tribus guerrières pour assurer la sécurité de tous ceux qui s’étaient placés sous sa dépendance.

 

Epilogue

On dit parfois que chaque être humain refait au cours de son développement tout le parcours de l’humanité. Je pense pour ma part qu’il est habité par toutes ses cultures. Comme une graine enfouie que la rencontre fait germer, chaque culture, chaque mode d’être trouve en nous son écho, affaibli, débile certes, mais reconnaissable. C’est en moi que je rencontre l’autre, le juif, l’arabe, le burkinabé, l’indien, le nomade … Je le reconnais, je reconnais en lui une part d’être restée inaccomplie et qui s’épanouit fugacement dans la rencontre.
Jamais je n’ai marché pieds nus sur la terre des hommes, jamais je n’ai levé les yeux sur le ciel étoilé, sans reconnaître que j’étais de là, de cette terre-là, sable, grès, granit, latérite, terre épaisse et noire, boue, glèbe, poussière… et de ces lumières-là piquées au loin à d’infinies distances les unes des autres, dessinant les histoires qui nourrissent nos vies, les croyances qui guident nos destins.


décembre 2001

 

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