Lettre
de Hanoï
(Cette" lettre" paraîtra
dans le bulletin de la Maison des Ecrivains en avril 2004)
Jean
Tardieu écrivait il y a plus de 70 ans une lettre de Hanoi à
son ami Roger Martin du Gard. C'est avec beaucoup d'émotion que
j'en ai écouté la lecture en ces derniers jours d'octobre 2003 à
l'Espace, centre culturel français de Hanoï, inauguré
depuis septembre au centre de la ville, près de l'Opéra et du lac
Hoan Kiem.

Petit
temple sur l'île du lac Hoan Kiem (photo P.Cayrouse)
Ils
étaient six lecteurs, français et vietnamiens, à lire ces
lignes d'une autre époque, toujours actuelles pourtant, ont dit les auditeurs
présents ce soir-là, Hanoïens de passage ou de toujours, fidèles
du centre culturel français ou visiteurs de passage, tous étaient
d'accord : .. le charme de la ville, le pouvoir de ses humeurs climatiques sur
les humeurs humaines restent inchangés. Et le reflet du ciel, son art de
se noyer dans le Fleuve Rouge (mieux nommé Fleuve Rose en vietnamien).
Chau
Diem faisait partie de ces lecteurs vietnamiens, il est poète, écrivain,
traducteur et, comme beaucoup d'écrivains de sa génération,
nourri de culture française. Et j'ai pu constater qu'il était aussi
un joyeux compagnon.
Je l'ai rencontré un matin, à la porte
de mon hôtel, il accompagnait son ami Hoang Hung. Monsieur Hung
était invité à la Maison des écrivains en 2002 pour
préparer une anthologie de poètes français contemporains.
C'est à ce titre que je l'avais appelé en arrivant à Hanoï.
" Déjeunons ensemble", m'a-t-il proposé, "demain,
si vous voulez, je passe vous prendre à votre hôtel à 8h
". Nous avons donc mangé un pho au coin de la rue, puis Monsieur
Hung m'a prise en croupe sur sa Honda, monsieur Diem est monté
sur un xe hom et nous sommes allés ensemble rencontrer " les
autres mousquetaires " : Nguyen Xuan Khanh et Duong Thuong.
"
Nous autres, gens de lettres, nous cherchons deux choses", me dit
Diem," la consolation pour les autres et la compassion pour nous-mêmes
". Il dit cela avec du rire plein les yeux, un rire qui a déjà
éclaté vingt fois depuis que nous nous sommes rencontrés.
Khanh
n'est guère plus sérieux pour me parler de son dernier roman. "On
pourrait traduire le titre par Porcinomanie" dit-il en riant aux
éclats. Roman qui n'est pas encore publié, qui ne le sera peut-être
jamais, ou bien à compte d'auteur
Tout quatre ont traversé
des temps difficiles, dans les années 1975-1980 en particulier. A cette
époque, un professeur avait droit à 300g de viande par mois. "
Nous sommes une génération illusionnaire", dit l'un
des mousquetaires, avec ce même élan rieur qui ne les quitte pas.
"Nous avons gagné l'indépendance, nous voulons la liberté.
"
Apparente ou réelle, cette liberté semble désormais
largement répandue. On vend, on achète, on construit, on circule,
on parle, on écrit, même s'il est parfois difficile de publier, on
étudie, on rêve d'amour et d'argent.
Il y avait
aussi parmi ces lecteurs Louis Arsac, docteur es lettres et féru de littérature
contemporaine. C'est lui qui, sous le titre de "Errances et autobiographies
fictionnelles", m'a présenté au public de l'Espace à
mon arrivée, avec un brio et une attention dont je le remercie. J'ai eu
le plaisir de le revoir deux jours plus tard pour une brillante conférence
sur " Tardieu, entre tragique et burlesque".
Madame Dang Thi
Hanh appartient à l'Union des Ecrivains. Elle a invité sa soeur
Dang Anh Dao, comme elle, écrivain, traductrice, ancienne enseignante
et Hoang Ngoc Hien, directeur, ou ancien directeur de l'école d'écriture
Nguyen Du. La nostalgie, celle de l'enfance, des filaos et d'un art de
vivre que la modernité ignore, n'empêche pas mes hôtes de suivre
avec intérêt l'évolution de la littérature. "
Voulez-vous rencontrer Pham Thi Hoai " , me propose Monsieur
Hien.

Huong,Nguyet,
moi, monsieur Hien, madame Dao et madame Hanh (chez elle)
Quelques
jours plus tard, j'ai rendez-vous avec cette écrivain, une des meilleures
de sa génération dit-on. Nous nous retrouvons au terminus des bus
et nous partons ensemble dans ce village où elle a vécu entre 1975
et 1980 avec sa famille, pour aller voir son " père ". C'est
la première fois depuis 30 ans qu'elle y retourne. " Je l'appelle
" père " car il est écrivain et c'est lui qui m'a encouragée
quand j'ai commencé à écrire. Son fils allait à l'école
avec moi. Il est mort à la guerre", me dit-elle pour m'expliquer
où elle m'emmène. Nous devons prendre deux motos pour faire les
dix derniers kilomètres après l'arrêt du bus. Enfin nous arrivons
chez son " père ". Toute la famille s'avance à notre rencontre.
Sur le balcon un bougainvilliers rose flamboie. Nous montons au salon, qui est
aussi une chambre à coucher, un bureau, une bibliothèque. La photo
d'un jeune homme en uniforme est posée sur l'autel des ancêtres.
Hoai porte les baguettes d'encens trois fois à son front du geste vif que
l'on voit dans toutes les pagodes.
Après le déjeuner, un déjeuner
de fête : monsieur Khoat a 73 ans aujourd'hui et sa " fille
" est là avec une invitée, nous allons faire le tour du village.
Nous marchons entre les jardins, les vergers, les mares, les maisons où
vivent ensemble hommes, femmes, enfants, chiens, chats, poules, coqs, canards.
Hoai retrouve son ancien directeur d'école aujourd'hui en retraite.
Nous prenons le thé. La jeune femme prête aux deux hommes une attention
tendre et respectueuse.
"Le village a changé, me dit-elle.
Beaucoup de nouvelles maisons ont été construites." On
croise désormais des motos et parfois même une voiture.
Le
Vietnam change.
Pourtant il y a toujours des vergers, des
champs de légumes, des rizières et des paysans qui travaillent sans
relâche, binent, sarclent, repiquent, irriguent
D'un geste régulier,
ils balancent à deux deux cordes entre lesquelles un seau conique prend
l'eau d'un canal, et la projette un peu plus haut, dans une rigole creusée
tout au long d'une plantation. Des heures durant, ils répètent le
même geste archaïque et harmonieux qui assure la vie.
Les rizières
en terrasse, les lignes droites des potagers, la charrue qu'un buffle tire dans
la terre trempée sont aussi une façon d'écrire le Vietnam.
Une calligraphie à même la peau du pays.
Entre montagnes et mer,
sur des routes sans cesse coupées de ponts, entre ciel et eau, le Vietnam
moderne reste fidèle au dragon et à la princesse dont il est issu.
Hanoï n'a rien perdu de son charme ni le lac de son secret
.
au
bord du lac Hoan Kiem (photo P. Cayrouse)
Marie-Florence
Ehret - décembre 2003
Hanoï et après
Je n'aurais jamais quitté
Hanoï si je n'avais pas pris des engagements avec l'IDECAF, centre culturel
français d'Ho-Chi-minh.
Car je ne dis pas dans cette
lettre l'enchantement que fut pour moi la vieille ville

et
ses 36 rues, ses mille métiers, le charme des lacs, le lac central (Hoan
Kiem) en tout premier lieu
billet d'entrée à la Pagode Ngoc Son
sur le lac Hoan Ki
mais aussi le grand lac de l'ouest
autour duquel j'ai marché tout un après midi avec Christine.
Je
ne raconte ni les dîners avec elle et Bruno, ni les escapades touristiques
dans les montagnes du nord et dans la baie d'Along avec ma copine Binh - madame
Binh comme je l'appelais l'année dernière, quand nous n'étions
pas encore intimes- ni la soirée d'opéra, ni la conférence
d'Eric Naudin, ni les séances de cinéma, ni les heures passées
à la bibliothèque de l'Espace, ni le petit déjeuner avec
Nguyet, Hoang et Ingrid, ni....

avec
ma copine Binh dans les montagnes du nord
Je ne vous parle
pas non plus de ma longue descente tout au long de la mer de Chine, des étapes,
à
Hué où j'ai passé l'après midi à faire du vélo
dans la ville impériale après 16 h de bus, et une journée
à remonter la rivière des Parfums en visitant les mausolées
des anciens empereurs,
à Hoi An où restent d'anciennes maisons
chinoises et japonaises,

près
d'Hoi An, au bord de la rivière
à Nga Trang
où je me suis baignée, et à Mui ne où la floraison
d'hôtels restent cachée sous les cocotiers qui bordent la plage.
Je
ne vous dirai d'Ho Chi Minh ville, alias Saïgon, que la douceur de l'air,
la grâce de l'écrivain Anna
Moï
(à lire aux Editions de l'Aube), l'enthousiasme des élèves
du lycée Hong Phong, la joie de vivre de Cathy, le rire de Binh, nos orgies
de fruits de mer, nos journées de filles, entre marché, tailleur
et masseuses.
Je vous offre encore deux mots, pour nourrir
vos rêves : la mangrove, paysage de terre et d'eau dans le delta du Mékong,
et les arroyos qui la traversent, au milieu des palmiers -cocotiers et lataniers
- , des bambous, des palétuviers et des bananiers.
Voilà,
vous comprendrez que je n'avais pas envie de revenir en France, sinon pour retrouver
ceux que j'aime.
Et que je suis maintenant au travail pour
tenter de faire revivre tout cela dans un livre qui reste à écrire.
En
conclusion, je veux seulement remercier le Ministère des Affaires Etrangères
qui m'a donné la possibilité de faire ce séjour, les Centres
Culturels d' Hanoï et d'HCM qui l'ont nourri, et tous celles et ceux qui
m'ont accueillie.

CHUC MUNG NAM MOI
Meilleurs
voeux (à tous pour l'année 2004)